Dans la matinée plus tard il a déferlé sur notre bled une véritable armée de curieux !… Je me demandais d’où qu’ils pouvaient bien venir ?… Dans ce pays si désert c’était une énigme !… De Persant ? Y avait jamais eu tant de monde !… à Mesloir non plus !… Ça venait donc de bien plus loin… des autres cantons… des autres campagnes… Ils étaient devenus si nombreux, si denses, qu’ils débordaient sur nos cultures… Tellement ils étaient comprimés… Ils tenaient plus sur la route… Ils pilonnaient dans les champs, les deux remblais se sont effondrés sous les charges de la populace… Ils voulaient tout voir à la fois, tout connaître et tout renverser… Il pleuvait dessus à grands flots… Ça les gênait pas du tout… Ils sont restés quand même comme ça pétris dans la bouse… À la fin des fins ils ont envahi toute notre cour… Ils produisaient une rauque rumeur…

Au premier rang, dans nos carreaux, il s’est formé sur notre fenêtre une sorte de bourbier de grand-mères ! Ah ! c’était joli !… Elles adhéraient contre les persiennes, elles étaient peut-être au moins cinquante… Elles croassaient plus que tout le monde… Elles se bigornaient à coups de riflards !

Enfin l’ambulance promise a fini par arriver… C’était la toute première fois qu’on la risquait hors de la ville… Le chauffeur nous a renseignés… Le grand hôpital de Beauvais venait tout juste de faire l’achat… Qu’est-ce qu’il avait eu comme pannes !… Trois crevaisons coup sur coup !… et deux fuites d’essence… Il fallait maintenant qu’il fasse vite pour être rentré avant la nuit… Nous avons fait glisser le brancard… On a pris chacun une attelle… Il fallait pas perdre une seconde !… Il avait une autre frayeur le mécanicien… c’était que son moulin se débraye… Il fallait pas qu’il s’arrête !… pas du tout !… pas une seconde !… Il fallait qu’il tourne même sur place !… Mais ça présentait un danger à cause des petits retours de flamme… On est partis chercher Courtial… Les gens se sont rués sur les issues. Ils nous ramponnaient tellement fort… Ils bloquaient si bien la voûte et le petit couloir, que même en leur foutant des trempes, en fonçant dessus à toute bringue avec le pandore, on est passés en laminoir… On est revenus vite avec la civière, on a glissé les attelles par les deux coulisses exprès jusqu’au fin fond de la bagnole… ça s’emboîtait exactement. On a refermé dessus les rideaux… Les grands cirés noirs… Et c’était fini !… Les paysans ils se causaient plus… Ils ont ôté leurs casquettes… Toutes les péquenouilles, les jeunes, les vioques, elles se faisaient plein de signes de croix… les pompes bien foncées dans la boue… Et que je te pleus des pleines cascades… Elles ruminaient toutes leurs prières… Dessus ça coulait Nom de Dieu !… Alors le chauffeur d’ambulance il est monté sur son siège… il a poussé l’allumage… Pe ! Pe ! Tap ! Te ! Pe ! Tap ! Pe ! Pe ! Des renvois terribles !… Le moteur il était mouillé… Il renâclait par tous les tuyaux… Enfin ça se décide !… Il fait un bond… Il en fait deux… Il embraye… il roule un petit peu… Le chanoine Fleury alors quand il voit comme ça le truc partir… Il pique un sacré cent mètres !… Il pousse à fond. Il jaillit de la route en voltige… Il saute sur le garde-boue !… Il a fallu qu’on coure nous autres ! Et qu’on l’arrache de vive force ! Il se rebiffait tout sauvage !… On l’a renfermé dans la grange ! Et d’un !… Mais le moteur une fois bloqué il voulait plus du tout repartir ! Il a fallu qu’on pousse en chœur jusqu’à la crête du plateau… qu’on redonne encore de l’élan… Du coup, elle a dévalé la neuve ambulance dans un raffut de râles et de saccades à travers toute la descente… encore près de trois kilomètres !… Ah ! c’était du sport !… On est revenus nous vers la ferme… On s’est assis dans la cuisine… On a un peu attendu… que les gens se lassent et se dispersent… Ils avaient plus rien à regarder, c’est évident… mais ils bougeaient pas quand même !… Ceux qu’avaient pas de parapluies, ils se sont installés dans la cour… dans le hangar du milieu, ils cassaient la croûte ! Nous avons refermé nos volets.

On a recherché dans nos affaires, dans le peu qui restait à la traîne ce qu’on pourrait bien emporter ?… en fait d’habillements possibles… Faut le dire, y en avait pas chouia ! La vieille elle a retrouvé un châle… elle gardait bien sûr son falzar, toujours frusquée comme nous autres. Elle avait plus de jupe à se mettre… Question d’aliments, il restait encore un peu de couenne dans le fond du saloir… assez pour une pâtée au clebs… On l’emmenait aussi à la gare… On l’a fait bouffer. J’ai découvert heureusement un petit velours à côtes derrière la penderie… Une requimpette à boutons d’os ! Un vrai costard de garde-chasse… C’est les mômes qui l’avaient paumé… Ils l’avaient pas dit à personne…

En plus de mon faux raglan… ça me ferait tout de même de la chaleur… et toujours la culotte cycliste !… Comme linge, c’était fleur totale ! pas une seule liquette !… Question des tatanes ?… les miennes elles tenaient encore, je les avais un peu fendues à cause des pointures trop étroites… et puis rambinées par-dessous avec des sandales… c’était souple mais c’était froid !… La daronne elle aurait du mal à finir la route à cause de ses charentaises enfilées dans des caoutchoucs. C’est ça qui retenait bien la flotte… Elle se les est enroulées en paquets avec des ficelles et autour des vieux journaux… pour que ça lui fasse des vraies bottes et que ça branle plus dans les panards… Persant c’était encore assez loin !… Et Beauvais bien davantage… Il était plus question de voiture !… On s’est fait repasser un peu de jus… Et puis on s’est rassemblés avec le pandore… C’est lui qui devait nous escorter, il tenait son gaye par la bride qu’avait toujours pas son fer !… Le curé aussi voulait venir !… J’aurais bien aimé qu’on le plante là !… Qu’on l’enferme à clef derrière nous… Mais il faisait un boucan infect aussitôt qu’il se croyait tout seul… C’était donc pas une solution !… Supposons qu’on le laisse en carafe, qu’on le boucle dans sa case… Et puis qu’il fracasse tout ?… Qu’il s’échappe ce possédé… qu’il escalade sur les toits ?… Et qu’il se foute en bas d’une gouttière ?… Et qu’il se casse deux ou trois membres ?… Alors qui c’est qu’est bonnard ?… Qui c’est qu’on accuse ?… Bien sûr c’est encore notre pomme. C’est nous qu’on écroue !… ça faisait pas l’ombre d’un petit pli !… J’ai donc été ouvrir sa lourde… Il s’est projeté dans mes bras !… Il me chérissait éperdument… Par exemple, on trouvait plus le clebs… On a perdu au moins une heure à le filocher… dans le hangar, dans la grange… Il n’était nulle part… ce puceux… Enfin il a rappliqué… Nous étions fin prêts…

Tous les ploucs dehors, dans l’attente, ils ont rien dit de nous voir partir… Ils ont pas fait ouf !… Pas un mot ! On leur a passé juste sous le nez… Y en avait plein les caniveaux ! Des terreux… des terreux encore… On s’est donc lancés sur la route… Lancés… enfin c’est beaucoup dire… On marchait assez prudemment… Y avait que l’autre cloche qui se dératait… Il gambadait par-ci, par-là… Ça l’intriguait fort lui le cureton de connaître notre itinéraire… « On va voir Charlemagne ?… » qu’il s’est mis à demander tout haut… Il comprenait rien aux réponses !… mais il voulait plus nous quitter… Pour le semer c’était midi !… La balade ça l’émoustillait… Il cavalait par-devant avec le petit clebs… Il bondissait sur un talus… Il embouchait son cor de chasse… Il soufflait dedans un petit taïaut !… Et juste en arrivant au ras il rejoignait vivement la troupe… Il emballait comme un zèbre… On est arrivés comme ça en très forte fanfare aux maisons… à l’entrée même de Persant… Le gendarme il a tourné à gauche… c’était fini sa consigne… Il nous laissait nous démerder… Il tenait plus à notre compagnie… C’était pas dans sa direction… Nous on a pris le chemin de la gare… On s’est renseignés tout de suite quant aux heures des trains… Celui de la vieille pour Beauvais, il partait juste dans dix minutes !… Une heure avant celui de Paris… Elle passait sur le quai, d’en face… C’était le moment de se dire « au revoir »… On s’est rien dit bien spécialement… On s’est rien promis du tout… On s’est embrassés…

« Ah ! mais ! tu piques Ferdinand !… » C’était ma barbe qu’elle remarquait. Une plaisanterie !… Elle était brave… c’était du mérite en pleine caille… Elle savait pas où elle allait… Moi non plus d’ailleurs. Ça faisait tout de même une petite paye qu’on affurait dans les malchances !…

Cette fois on s’était fait étendre !… Ça pouvait bien se prévoir en somme… Y avait pas trop rien à dire…

Le curé dans la gare comme ça il a pris tout de suite un peu peur… Il se ratatinait dans un coin… Seulement il me quittait pas des yeux… Il regardait que moi sur la plateforme… écarquillé… Les gens autour ils se demandaient ce qu’on pouvait bien-foutre ?… Surtout lui avec sa trompe… La rombière et son pantalon… Moi mon costard à ficelles… Ils osaient pas trop se rapprocher… À un moment la buraliste elle cherchait, elle nous a reconnus… « mais c’est les fous de Blême ! » qu’elle a proclamé !… Y a eu alors comme une panique… Le train de Beauvais entrait en gare… heureusement… Y a eu diversion… La grosse choute s’est élancée… Elle a grimpé à contre-voie… Elle est restée dans la portière avec le petit clebs à Dudule… Elle me faisait des signes « au revoir » !… Je lui ai fait aussi des gestes !… Au moment que le train démarrait… il lui a pris une détresse… Ah ! quelque chose d’infect !… Elle me faisait des grimaces atroces dans le trou de sa portière… Et puis « rrah ! rrah ! » qu’elle faisait comme des râles d’égorgement… comme une espèce d’animal…

— Herdinand ! Herdinand ! qu’elle a encore pu gueuler… comme ça à travers la gare… Par-dessus tous les fracas… Le train a foncé dans le tunnel… Jamais on s’est revus !… Jamais avec la daronne… J’ai appris beaucoup plus tard qu’elle était morte à Salonique, j’ai appris ça au Val-de-Grâce en 1916. Elle était partie infirmière à bord d’un transport. Elle est morte d’une vérole quelconque, je crois bien que ce fut du typhus, l’exanthématique. On est donc restés tous les deux, le chanoine et moi sur l’autre quai, sur celui de Paris. Il comprenait toujours rien… à la raison qu’on était là… Mais enfin il jouait plus du cor !… Il avait juste la panique que je le plaque en route… À peine le train arrivé il a sauté aussi dans le dur, derrière moi… Jusqu’à Paris qu’il m’a collé… Je l’ai perdu un petit moment en sortant de la gare… Je me suis faufilé par une autre porte… Il m’a rejoint tout de suite la canule !… Je l’ai reperdu rue Lafayette… juste en face de la pharmacie… J’ai profité du trafic… J’ai bondi dans un tramway entre les amas des voitures… Je l’ai quitté un peu plus loin… Boulevard Magenta… Je voulais être un peu tout seul… réfléchir, comme j’allais m’orienter…

J’étais fort étrangement vêtu… pas présentable dans une ville… Les gens ils me fixaient curieusement… c’était le moment de la sortie des magasins, des burlingues… Il devait être un peu plus de sept heures… Je faisais quand même sensation avec mon raglan raccourci… Je me suis planqué sous une porte, c’était le coup de mon pardessus le plus sec à avaler… tout bouffant dans ma culotte qui me donnait la forme étonnante ! Et je pouvais pas me rhabiller là… Et puis j’avais plus de chemise ! Mon grimpant tenait que par l’épaisseur !… J’avais plus de chapeau non plus… J’avais que le petit à Dudule, un Jean-Bart en cuir bouilli. Je mettais ça là-bas… Ici, c’était impossible… Je l’ai balancé derrière une porte… Y avait toujours trop de passants… pour que je me risque sur les trottoirs, sapé fantaisie… Je voulais attendre que ça se dégage… Je regardais la rue passer… Ce qui m’a frappé en premier lieu, c’était les récents autobus… leur modèle sans « impériale » et les nouveaux taxis-autos… Ils étaient plus nombreux que les fiacres… Ils faisaient un barouf affreux… J’avais bien perdu l’habitude des trafics intenses… Ça m’étourdissait… J’étais même un peu écœuré… J’ai acheté un petit croissant et un chocolat… C’était l’heure… Je les ai remis tout de suite dans ma poche… L’air ça paraît toujours mou quand on revient de la campagne… C’est le vent qui vous manque… Et puis alors, je me suis demandé si je rentrerais au Passage ?… et directement ?… Et si les bourres venaient me cueillir ?… Ceux du zozoteur…

Plus haut dans le boulevard Magenta, j’ai retrouvé la rue Lafayette, celle-là, j’avais qu’à la descendre, c’était pas très difficile, la rue Richelieu, puis la Bourse… J’avais qu’à suivre toutes les lumières… Ah ! Je le connaissais moi le chemin !… Si au contraire, je piquais à droite, j’allais tomber sur le Châtelet, les marchands d’oiseaux… le quai aux fleurs, l’Odéon… C’était la direction de mon oncle… Le fait de trouver un lit quelque part c’était pas encore le plus grave… Je pourrais toujours me décider au dernier instant… Mais pour trouver un emploi ? ça c’était coton !… Comment qu’il faudrait que je me renippe ?… J’entendais déjà la séance !… Et puis où j’irais m’adresser ?… Je suis sorti un peu de ma planque… Mais au lieu de reprendre le Boulevard j’ai tourné par une petite rue… Je m’arrête devant un étalage… Je regarde un œuf dur… un tout rouge !… Je me dis : « Je vais l’acheter !… » À la lumière je compte mes sous… Il me restait encore plus de sept thunes et j’avais payé mon chemin de fer et celui du cureton… Je l’épluche l’œuf sur le comptoir, je mords dedans… Je le recrache tout de suite… Je pouvais plus rien avaler !… Merde ! Ça passait pas… Merde, que je me dis, je suis malade… J’avais le mal de mer… Je sors à nouveau… Tout ondulait dans la rue… Le trottoir… Les becs de gaz… Les boutiques… Et moi sûrement que j’allais de travers… Voilà un agent qui se rapproche… Je me hâte un peu… Je biaise… Je me replanque dans une entrée… Je veux plus bouger du tout… Je m’assois sur le paillasson… Ça va tout de même un petit peu mieux !… Je me dis : « Qu’est-ce que t’as Toto ?… T’es pas devenu tellement fainéant ?… T’as plus la force d’avancer ?… » Et toujours ce mal au cœur… La rue, elle me foutait la panique… de la voir comme ça devant moi… sur les côtés… à droite… à gauche… Toutes les façades tout ça si fermé, si noir ! Merde !… si peu baisant… c’était encore pire que Blême !… pas un navet à chiquer… J’en avais les grolles par tout le corps… et surtout au bide… et à la tête ! J’en aurais tout dégueulé… Ah ! Je pouvais plus repartir du tout ! J’étais bloqué sur la devanture… Là vraiment on pouvait se rendre compte !… C’était pas du charre… au pied du mur quoi !… Comment qu’elle s’était évertuée, ça me revenait, la pauvre daronne, pour qu’on crève pas tous !… C’était en somme à peine croyable !… Merde ! J’étais tout seul maintenant !… Elle était barrée Honorine !… Merde !… C’était une bonne grognasse !… absolument courageuse… elle nous avait bien défendus !… On était tous polichinelles !… J’étais bien sûr de plus la revoir… C’était positif !… Ça devenait bien moche tout ça d’un seul coup !… Et puis tout à fait infect !… C’était encore les nausées… J’ai retrouvé un paillasson… J’ai vomi dans la rigole… Des passants qui se rendaient compte… Il a fallu que je démarre… Je voulais avancer quand même…

Je me suis encore arrêté à l’extrême bout de la rue Saint-Denis… Je voulais pas aller plus loin, j’ai découvert une encoignure, là on me voyait plus du tout… Ça allait mieux une fois assis… c’est la bagotte qui m’écœurait… Quand je me sentais m’étourdir, je regardais plutôt en l’air… Ça m’atténuait les malaises de relever la tête… Le ciel était d’une grande clarté… Je crois que jamais je l’avais vu si net… Ça m’a étonné ce soir-là comme il était découvert… Je reconnaissais toutes les étoiles… Presque toutes en somme… et je savais bien les noms !… Il m’avait assez canulé l’autre olibrius avec ses orbites trajectoires !… C’est drôle comme je les avais retenus sans bonne volonté d’ailleurs… ça il faut bien le dire… La « Caniope » et « l’Andromède »… elles y étaient là rue Saint-Denis… Juste au-dessus du toit d’en face… Un peu plus à droite le « Cocher » celui qui cligne un petit peu contre « les Balances »… Je les reconnais tous franco… Pour pas se gourer sur « Ophiuchus »… c’est déjà un peu plus coton… On la prendrait bien pour Mercure, si y avait pas l’astéroïde !… Ça c’est le condé fameux… Mais le « Berceau » et la « Chevelure »… On les méprend presque toujours… C’est sur « Pelléas » qu’on se goure bien ! Ce soir-là, y avait pas d’erreur !… C’était Pelléas au poil !… au nord de Bacchus !… C’était du travail pour myope… Même la « Grande nébuleuse d’Orion » elle était absolument nette… entre le « Triangle » et « l’Ariane »… Alors pas possible de se perdre… Une unique chance exceptionnelle !… À Blême, on l’avait vue qu’une fois ! pendant toute l’année l’Orion… Et on la cherchait tous les soirs !… Il aurait été bien ravi l’enfant de la lentille de pouvoir l’observer si nette… Lui qui râlait toujours après… Il avait édité un guide sur les « Repères Astéroïdes » et même un chapitre entier sur la « nébuleuse d’Antiope »… C’était une surprise véritable de l’observer à Paris… où il est bien célèbre le ciel pour son opacité crasseuse !… J’entendais comme il jubilait le Courtial dans un cas pareil !… Je l’entendais déconner, là, à côté de moi, sur le banc…

« Tu vois, mon petit, celle qui tremble ?… ça c’est pas même une planète… Ça c’est qu’une trompeuse !… C’est même pas un repère !… Un astéroïde !… C’est qu’une vagabonde !… tu m’entends ?… Fais gafe !… Une vagabonde !… Tiens encore deux millions d’années, ça fera peut-être une lumière profuse !… Alors elle donnera peut-être une plaque !… Maintenant c’est qu’une entourloupe et tu paumeras toute ta photo !… Et puis c’est tout ce que t’en aurais… Ah ! c’est trompeur une “ vaporide ” mon petit gniard !… Pas même une comète d’“ attirance ”… Te laisse pas berner, troubadour ! Les étoiles c’est tout morue !… Méfie-toi avant de t’embarquer ! Ah ! c’est pas les petites naines blanches ! Mords-moi ça ! Comme dynamètre ! Quart seconde exposition ! Brûle ton film en quart dixième ! Qu’elles sont terribles ! Ah ! défrisable ! Gafe-toi Ninette ! Les plaques c’est pas donné aux “ Puces ” !… Mais mon cher Evêque !… » Je les rentendais toutes ses salades !… « Une seule fois, quand tu regardes une chose… Tu dois la retenir pour toujours !… Te force pas l’intelligence !… C’est la raison qui nous bouche tout… Prends l’instinct d’abord… Quand il bigle bien, t’as gagné !… Il te trompera jamais !… » J’en avais plus moi de la raison… J’avais les guibolles en saindoux… J’ai marché quand même encore… Et puis j’ai retrouvé un autre banc… Je me suis tassé contre le dossier… Il faisait vraiment plus très chaud… Il me semblait qu’il était là… et de l’autre côté de la planchette, qu’il me tournait le dos, le vieux daron. J’avais des mirages… Je déconnais à sa place… Ses propres mots absolus… Il fallait que je l’entende causer… qu’ils me reviennent bien tous… Il était devant moi sur l’asphalte !… « Ferdinand ! Ferdinand ! L’ingéniosité c’est l’homme… Ne pense pas toujours qu’au vice… » Il me racontait tous ses bobards… et je me souvenais de tous à la fois !… Je discutais maintenant tout haut !… Les gens s’arrêtaient pour m’entendre… Ils devaient penser que j’étais ivre… Alors j’ai bouclé ma trappe… Mais ça me relançait quand même… ça me tenaillait toute la caboche. Ils me possédaient bien les souvenirs… Je pouvais pas croire qu’il était mort mon vieux vice-broquin… Et pourtant je le revoyais avec sa tête en confiture… Toute la barbaque qui remuait toujours… et que ça grouillait plein la route !… Merde ! Et la ferme à pic du talus ! et puis le fils à la garce Arton… Et la truelle ?… Et la mère Jeanne ? et leur brouette ? et tout le temps qu’on l’avait roulé avec la daronne !… Ah ! La vache ! Il était terrible !… Il me recavalait en mémoire !… Je repensais à toutes les choses… Au bar des Émeutes… à Naguère !… Au Commissaire des Bons-Enfants… et aux effluves à la gomme !… Et à toutes les patates infectes… Ah ! C’était dégueulasse au fond… comme il avait pu nous mentir… Maintenant il repiquait la tante !… Il était là, juste devant moi… à côté du banc… Je l’avais son odeur de bidoche… J’en avais plein le blaze… C’est ça la présence de la mort… C’est quand on cause à leur place… Je me suis redressé tout d’un coup… Je résistais plus… J’allais crier une fois terrible… Me faire embarquer pour de bon… J’ai relevé les châsses en l’air… pour pas regarder les façades… Elles me faisaient trop triste… Je voyais trop sa tête sur les murs… partout contre les fenêtres… dans le noir… Là-haut Orionte était partie… J’avais plus de repère dans les nuages… Tout de même j’ai repiqué Andromède… Je m’entêtais… Je cherchais Caniope… Celle qui clignait contre l’Ours… Je me suis étourdi forcément… J’ai repris quand même ma promenade… J’ai longé les grands Boulevards… Je suis revenu Porte Saint-Martin… Je tenais plus sur mes guizots !… Je déambulais dans le zigzag !… Je me rendais tout à fait compte… J’avais une peur bleue des bourriques !… Ils me croyaient saoul eux aussi !… Devant le cadran du « Nègre » j’ai fait « pst ! pst ! » à un fiacre !… Il m’a embarqué…

« Chez l’oncle Édouard !… que j’ai dit…

— Où ça l’oncle Édouard ?…

— Rue de la Convention ! quatorze ! » J’allais sûrement me faire épingler si je continuais ma vadrouille… avec ce putain de vertige… Ça devenait un terrible risque… si les bourres m’avaient questionné… J’étais étourdi à l’avance. Jamais j’aurais pu leur répondre… La course en fiacre m’a fait du bien… Ça m’a vraiment retapé un peu… Il était chez lui l’oncle Édouard… Il a pas eu l’air très surpris… Il était content de me revoir… Je m’assois devant sa table… J’enlève un peu ma redingote… J’avais plus que le petit velours à côtes…

« T’es drôlement sapé ! qu’il remarque… Il me demande si j’ai mangé ?

— Non ! J’ai pas faim… que j’ai répondu…

— Alors, ça va pas l’appétit ?… »

Du coup, il enchaîne… C’est lui qui me raconte ses histoires… Il était fort préoccupé… Il rentrait tout juste de Belgique, il sortait d’un de ces pétrins !… Il l’avait repassée finalement sa petite pompe « l’extra démontable » à un consortium de fabriques… À des conditions pas fameuses… Il en avait eu sa claque des litiges, des réclamations… à propos de tous les brevets… les « multiples », les « réversibles »… C’était marre !… C’était pas son genre, les migraines et les avocats… Avec ce petit pognon liquide, il allait se payer quelque chose de bien franc, bien net… une vraie entreprise mécanique… Une affaire déjà lancée… pour le retapage des voiturettes… pour les « tinettes » de seconde main… Ça c’est un blot toujours fructueux… En plus il reprendrait les lanternes et les trompes de tous les clients. Ça aussi c’était dans ses cordes… Il les remettrait au goût du jour… Pour le petit matériel d’accessoires, les nickels, les cuivres, y a toujours la demande… Il suffit de suivre Un peu la vogue, ça se retape comme ci, comme ça… et puis on retrouve un amateur à trois cents pour cent !… Voilà du commerce !… Il était pas embarrassé… Il connaissait toutes les ficelles… Si il tiquait encore un peu c’était à cause des locaux… Il voulait encore réfléchir… C’était pas très net comme clauses… Y avait un drôle de « pas-de-porte »… Il flairait une petite vape !… La reprise était assez lourde !… Il prolongeait les pourparlers… Il avait la leçon… Il avait failli souscrire dans une sorte d’association pour une véritable usine de grandes fournitures carrossières… à cent mètres de la Porte Vanves… Ça s’était pas fait… Ils l’empaquetaient dans le contrat… Les copeaux l’avaient saisi au dernier moment… Il se méfiait de tous les partenaires… Pour ça, il avait pas tort !… Il réfléchissait toujours… C’était trop beau pour être honnête !… presque du quarante-sept pour cent !… Ça ! c’était sûrement des bandits !… Il devait pas regretter grand-chose !… Sûrement qu’il était marron avec des gangsters semblables !… Enfin il a eu tout jacté… tout déroulé… tout ce qui était survenu, dans le détail, toutes les bricoles de son business, depuis notre départ pour Blême jusqu’au jour où nous étions… Du coup, c’était à mon tour de raconter mes histoires… Je m’y suis mis tout doucement… Il a écouté tout du long…

« Ah ! ben alors ! Ah ! ben mon petit pote ! Ah ben ça c’est carabiné !… Il en restait tout baba !… Ah ben dis donc c’est pas croyable… Ah ben alors, je m’étonne plus que t’es gras comme un courant d’air !… Ah ! vous avez dérouillé !… Merde !… C’est une leçon ! Tu vois mon petit pote !… C’est toujours comme ça la campagne… Quand t’es de Paris, faut que t’y restes !… Souvent on m’a offert à moi des genres de petits dépositaires, des marques, des garages dans des bleds… C’était séduisant à entendre. Des “ représentations ”, des vélos, en pneumatiques… Ton maître par-ci !… Liberté par-là !… Taratata ! Moi jamais ils m’ont étourdi !… Jamais ! Ça je peux le dire !… Tous les condés de la campagne c’est des choses qu’il faut connaître !… Il faut être né dans leurs vacheries… Toi te voilà qu’arrive fleur… Tu tombes dans la brousse ! Imagine !… tout chaud, tout bouillant… Dès la descente, ils te possèdent !… T’es l’œuf !… Y a pas d’erreur !… Et tout le monde te croûte… Les jeux sont faits !… On se régale ! Profits ?… Balle-Peau !… T’en tires pas un croc pour ta pomme… T’es fait bonnard sur tout le parcours !… Comment que tu pourrais toi te défendre ?… Tu résistes pas une seconde… Faut être dans le jus dès le biberon… Voilà l’idéal !… Autrement t’es bien fait cave à tous les détours !… Comment que tu pourrais étaler ?… Ça s’entrave pas dans un soupir ! Ça s’invente pas les artichauts !… T’as pas une chance sur cent dix mille… Et puis comme vous partiez vous autres ?… Avec des cultures centrifuges… Ça alors, c’était du nougat !… Vous la cherchiez bien la culbute… Vous vous êtes fait retourner franco !… C’était dans la fouille !… Ah ! Mais dis donc alors petit pote, ce que tu peux voir maigre ! Mais c’est pas croyable !… T’aimes ça la soupe au tapioca ?… » Il trifouillait dans sa cuisine… Il devait être au moins neuf heures… « Il va falloir que tu te rambines !… Ici tu vas te taper la cloche ! Ça je te garantis !… Il va falloir que tu m’en caches !… Ah ! Y a pas d’erreur ni de chanson… » Il m’a rebiglé au tournant… le joli genre de mon costard… ça le faisait un peu sourire… et ma combinaison-culotte… et les ficelles pour le fond…

« Tu peux pas rester en loques !… Je vais te chercher un petit grimpant… Attends… Je vais te trouver quelque chose… » Il m’a ramené d’à côté, un complet tout entier à lui, de son armoire à coulisse… C’était en parfait état, et puis un manteau peau d’ours… un formidable poilu… « Tu mettras ça en attendant !… » et une casquette à rabats et le caleçon et la liquette en flanelle… J’étais resapé magnifique !

« T’as pas faim alors ?… Du tout ?… » J’aurais rien pu ingurgiter… Je me sentais même un malaise… quelque chose de bien pernicieux… J’avais les tripes en glouglous… sans charre, j’étais pas fringant !

« Qu’est-ce que t’as alors mon petiot ?… » Je commençais à l’inquiéter.

« J’ai rien !… J’ai rien !… » Je luttais…

« T’as attrapé froid alors ?… Mais c’est la grippe qui te travaille !

— Oh ! non… Je crois pas… que j’ai répondu… Mais si tu veux bien mon oncle, une fois que t’auras fini de manger… On pourra peut-être faire un petit tour ?…

— Ah ! Tu crois que ça va te dégager ?…

— Ah ! Oui ! mon oncle !… Oui, je crois !…

— T’as donc mal au cœur ?…

— Oui ! un tout petit peu, mon oncle !…

— Eh bien t’as raison !… Descendons tout de suite tiens !… Moi je mangerai plus tard !… Tu sais je suis un peu comme ta mère… Subito ! Presto ! Y a jamais d’arêtes ! » Il a pas terminé sa croûte… On est partis tout doucement jusqu’au coin du café de l’Avenue… Là, il a voulu qu’on s’assoye à la terrasse… et que je prenne une infusion de menthe… Il me causait encore de choses et d’autres… Je lui ai demandé un peu des nouvelles… Si il avait vu mes parents ?…

« Au moment de partir en Belgique, ça va faire deux mois hier !… J’ai fait un saut au Passage… Je les ai pas revus depuis !… Ils se retournaient bien les méninges, qu’il a ajouté, à propos de tes lettres ! Ils les épluchaient tu peux le dire… Ils savaient plus ce que tu devenais… Ta mère voulait partir te voir tout de suite… Ah ! Je l’ai dissuadée… J’ai dit que j’avais moi des nouvelles… Que tu te débrouillais parfaitement… mais que vous aviez pas une minute à cause des semailles ! Enfin des bêtises !… Elle a remis le voyage à plus tard !… Ton père était encore malade… Il a manqué son bureau plusieurs fois de suite cet hiver… Ils avaient peur tous les deux que, cette fois-là, ça soye la bonne… qu’ils attendent plus Lempreinte et l’autre… qu’ils le révoquent… Mais ils l’ont repris en fin de compte… Par contre, ils y ont défalqué intégralement ses jours d’absence !… Imagine ! Pour une maladie !… Pour une compagnie qui roule sur des cent millions ! qu’a des immeubles presque partout ! C’est pas une honte ?… C’est pas effroyable ?… D’abord tiens c’est bien exact… plus qu’ils sont lourds plus qu’ils en veulent… C’est insatiable voilà tout ! C’est jamais assez !… Plus c’est l’opulence et tant plus c’est la charogne !… C’est terrible les compagnies !… Moi je vois bien dans mon petit truc… C’est des suceurs tous tant qu’ils sont !… des voraces ! des vrais pompe-moelle !… Ah ! C’est pas imaginable !… Parfaitement exact… Et puis c’est comme ça qu’on devient riche… Que comme ça !

— Oui mon oncle !…

— Celui qu’est malade peut crever !…

— Oui mon oncle !…

— C’est la vraie chanson finale, petit fias, faut apprendre tout ça !… et immédiatement ! tout de suite ! Méfie-toi des milliardaires !… Ah ! Et puis j’oubliais de te dire… Y a encore quelque chose de nouveau… du côté de leurs maladies… Ton père veut plus voir un médecin !… Même Capron qu’était pas mauvais ! et pas malhonnête, en somme… Il poussait pas à la visite… Elle non plus ta mère, elle veut plus en entendre parler… Elle se soigne complètement elle-même… Et je te garantis qu’elle boite… Je sais pas comment qu’elle s’arrange… Des sinapismes ! des sinapismes !… Toujours la même chose avec moutarde ! sans moutarde ! Chaud ! froid ! Chaud ! froid ! Et elle s’arrête pas de travailler !… Et elle se démanche !… Il faut qu’elle retrouve des clients !… Elle en a fait des nouveaux pour sa nouvelle Maison de Broderies… des dentelles bulgares… Tu te rends compte ! Ton père bien sûr il en sait rien… Elle représente pour toute la Rive droite… Ça lui fait des trottes… Si tu voyais sa figure quand elle rentre de ses tournées… Ah ! alors faut voir la mine !… C’est absolument incroyable !… J’aurais dit un vrai cadavre… Elle m’a même fait peur l’autre jour !… Je suis tombé dessus dans la rue… Elle rentrait avec ses cartons… Au moins vingt kilos j’en suis sûr ! T’entends vingt kilos ! À bout de poignes… C’est pesant toutes ces saloperies !… Elle m’a même pas aperçu !… C’est la fatigue qui la tuera… Tu t’en feras autant à toi-même si tu fais pas plus attention ! Ça je te dis mon pote ! D’abord tu manges beaucoup trop vite… Tes parents te l’ont toujours dit… De ce côté-là ils ont pas tort… »

Tout ça c’était ma foi possible… Enfin c’était pas important… Enfin pas beaucoup… Je voulais pas du tout le contredire… Je voulais pas créer de discussion… Ce qui me gênait pendant qu’il me causait… que je l’écoutais même pas très bien… C’était la colique… Ça m’ondoyait dans les tripes… Il continuait à me parler…

« Qu’est-ce que tu vas faire après ça ?… T’as déjà quelque chose en tête ?… Une fois que t’auras repris du lard ?… » Lui aussi ça le souciait un peu la question de mon avenir…

« Ah ! mon petit pote ! Tout ce que je t’en dis, c’est pas pour que tu te presses !… Oh ! mais non !… Prends tout ton temps pour tes démarches ! Savoir d’abord où on se trouve !… Va pas piquer n’importe quoi !… Ça te retomberait sur le râble !… Faut te retourner mais tout doucement… Faut faire attention !… Le travail c’est comme la croûte… Il faut que ça profite d’abord… Réfléchis ! Estime ! Demande-moi ! Tâte ! Examine !… à droite, à gauche… Tu décides quand tu seras sûr !… À ce moment-là, tu me le diras… Y a pas la foire sur le pont… Pas encore… Hein ?… Prends pas quelque chose au petit hasard… Tout juste pour me faire plaisir… Pas une bricole pour quinze jours !… Non !… Non !… T’es plus un gamin… Encore un condé à la gode… Tu finiras par te faire mal !… Tu te perdrais en réputation. »

On est repartis vers chez lui… On a fait le tour du Luxembourg… Il reparlait encore d’un emploi… ça le minait un peu comment j’allais me démerder ?… Il se demandait peut-être en douce dans le tréfonds de sa gentillesse si j’en sortirais jamais de mes néfastes instincts… de mes dispositions bagnardes ?… Je le laissais un peu mijoter… Je savais plus quoi lui dire… J’ai rien répondu tout de suite… J’avais vraiment trop de fatigue et puis un vilain mal aux tempes… Je l’écoutais que d’une oreille… Arrivés au boulevard Raspail je pouvais même plus arquer droit… Je prenais le trottoir tout de traviole… Il s’est rendu compte… On a fait encore une halte… Je pensais tout à fait à autre chose… Je me reposais… Il me la cassait l’oncle Édouard avec toutes ses perspectives… J’ai regardé encore en l’air… « Tu les connais toi, dis mon oncle, les “ Voiles de Vénus ”… la “ Ruche des Filantes ” ?… » Tout ça sortait juste des nuages… c’était des poussières d’étoiles… « Et Amarine ?… et Proliserpe ?… je suis tombé dessus coup sur coup… la blanche et la rose… Tu veux pas que je te les montre ?… » Il les avait sues l’oncle Édouard, autrefois les constellations… Il savait même tout le grand Zénith, un moment donné… du Triangle au Sagittaire, le Boréal presque par cœur !… Tout le « Flammarion » il l’avait su et forcément le « Pereires » !… Mais il avait tout oublié… Il se souvenait même plus d’une seule… Il trouvait même plus la « Balance » !

« Ah mon pauvre crapaud, à présent j’ai perdu mes yeux !… Je te crois sur parole ! Regarde tout ça à ma place !… Je peux même plus lire mon journal ! Je deviens si myope ces jours-ci que je me tromperais d’astre à un mètre ! Je verrais plus le ciel si j’étais dedans ! Je prendrais bien le Soleil pour la Lune !… Ah ! dis donc ! » Il disait ça en rigolade…

« Ah ! Mais ça fait rien… qu’il a ajouté… Je te trouve toi joliment savant ! Ah mais t’es fortiche ! T’en as fait dis donc des progrès !… C’est pas de la piquette ! T’as pas beaucoup briffé là-bas !… Mais t’as avalé des notions !… Tu t’es rempli de savoir-vivre !… Ah ! T’es trapu mon petit pote !… Tu te l’es farcie ta grosse tête !… Hein dis mon poulot ? Mais c’est la science ma parole !… Ah ! y a pas d’erreur !… » Ah ! je le faisais rire… On a reparlé un peu de Courtial… Il a voulu un peu savoir à propos de la fin… Il m’a reposé quelques questions… Comment ça s’était terminé ? Ah ! Je pouvais plus tenir qu’il m’en cause !… Il m’en passait une panique… Une crise presque comme à la vieille… Je pouvais plus me retenir de chialer !… Merde !… Ça faisait moche !… Ça me secouait les os… Pourtant j’étais dur !… C’était sûrement l’intense fatigue…

« Mais qu’est-ce que t’as ! mon pauvre crabe !… Mais t’es tout défait ! Mais voyons, il faut pas te frapper !… Ce que j’en disais tout à l’heure à propos de ta place, c’était seulement pour qu’on en cause… Je prenais pas ça au sérieux ! Faut pas le prendre non plus ! Tu vas pas quand même t’effarer pour des fariboles pareilles !… Tu me connais pourtant assez bien !… T’as pas confiance dans ton oncle ?… Je disais pas ça pour te chasser !… Voyons gros andouille ! tu m’as pas compris ?… Rentre-moi tout de suite ces pleurs ! T’as l’air d’une mignarde à présent !… Hein mon petit boulot c’est fini ?… Un homme ça chiale pas !… Tu resteras tant qu’il faudra !… Là ! Voyons quand même !… Tu vas d’abord te remplumer… Je veux te voir rebouffi, rebondi ! gavé ! gras du bide ! On voudrait pas de toi n’importe où ! T’y penses pas ! comme ça ?… Tu peux pas te défendre tel quel !… On prend pas les papiers mâchés ! Faut être maous sur la place ! Tu leur fouteras tous sur la gueule… Baoum !… Renversez-moi tout ça !… Un coup du droit ! Bang ! Un coup du gauche… Garçon ! Monsieur ? Un biscoto !… » Il me consolait comme il pouvait, mais j’arrivais pas à me tarir. Je tournais tout à fait en fontaine.

« Je veux m’en aller, mon oncle !… Je veux partir !… Je veux partir loin !…

— Comment t’en aller ?… Partir où ?… En Chine ?… Loin ? Où ça ?…

— Je sais pas, mon oncle !… Je sais pas !… » Je dégoulinais de plus en plus fort… Je me suis relevé… J’étouffais !… Mais une fois debout j’ai trébuché… Il a fallu qu’il m’étaye… Quand on est arrivés chez lui, il savait plus vraiment quoi faire !… Ni dire !…

« Eh bien, mon gros !… ben mon toto !… Faut oublier quand même tout ça !… Mettons que j’ai rien dit du tout !… C’est pas de ta faute mon pauvre gniard ! Allons ! Tu y es pour rien !… Courtial, tu sais comment il était !… C’était un homme extraordinaire !… C’était un parfait savant !… Là je suis entièrement d’accord !… Je l’ai toujours dit, tout le premier… Et je crois qu’il avait du cœur !… Mais c’était un homme d’aventure !… Extrêmement calé, c’est un fait ! Extrêmement capable et tout !… et qu’a souffert mille injustices !… Oui ! ça c’est encore entendu !… Mais c’était pas la première fois qu’il se promenait sur les précipices !… Ah ! C’était un zèbre pour les risques !… Il les frisait les catastrophes !… D’abord les gens qui jouent aux courses ? pas ?… C’est qu’ils aiment se casser la gueule !… Ils peuvent pas se refaire !… Ça on peut pas les empêcher… Il faut qu’ils arrivent au Malheur !… Dame ! Très bien !… C’est le goût du risque !… Ça me fait bien de la peine quand même ! Ah ! Tu peux croire, ça me touche beaucoup !… J’avais pour lui de l’admiration… Et même une sincère amitié !… C’était un cerveau unique !… Ah ! Je me rends bien compte ! Une véritable valeur !… J’ai l’air bête, mais je comprends bien… Seulement c’est pas une raison parce qu’il vient maintenant de mourir, pour toi en perdre le boire et le manger !… pour te décharner jusqu’aux os !… Ah ! ça non alors ! Par exemple ! Ah ! Nom de Dieu ! Non !… Tu pourrais pas gagner ta vie dans l’état où tu te trouves !… C’est pas à ton âge voyons qu’on se détruit comme ça la santé, parce qu’on est tombé sur un manche !… Tu vas pas remâcher ça toujours !… Mais t’as pas fini mon pote !… T’en verras bien d’autres, ma pauvre bouille !… Laisse les jérémiades aux rombières !… Ça les empêche pas de pisser !… Ça leur fait un plaisir intense !… Mais toi t’es un mec à la redresse !… Pas que t’es à la redresse Routoutou ?… Tu vas pas te noyer dans les pleurs ?… Hi ! Hi ! Hi ! Tu vois pas ça dans la soupe ?… » Il me donnait des toutes petites claques… Il essayait de me faire marrer !…

« Ah ! le pauvre saule pleureur !… Il nous revient comme ça de la campagne ? Déglingué !… Fondu !… Raplati !… Allons mon poulot !… Allons maintenant du courage !… Tiens, je te parlerai plus de t’en aller !… Tu vas rester avec moi !… Tu te placeras nulle part !… C’est conclu ! C’est entendu !… Là, t’es plus tranquille ?… Plus jamais tu te chercheras une place !… Là ! T’es content à présent ?… Tiens, je vais te prendre moi, dans mon garage !… C’est peut-être pas très excellent d’être apprenti chez son oncle… Mais enfin tant pis !… La santé d’abord ! Les usages, je m’en fous !… Le reste ça s’arrange toujours ! La santé ! voilà !… voilà !… Je te dresserai moi, tiens mon petit pote ! Je veux que tu prennes d’abord de la panne !… Ah ! Oui ! Ça te ronge toi de chercher des places… J’ai bien vu chez tes parents… T’as pas la façon facile, t’as pas le tempérament pour… Tu seras plus jamais contraint… puisque c’est ça qui t’épouvante !… Tu resteras toujours avec moi… Tu tireras plus les cordons… Tu ferais pas un bon placier… Ah ça non ! Hein ? Je peux pas ! Je peux pas mieux te dire !… T’aimes pas aller te présenter ?… Bien ! C’est ça qui te fout la pétoche ?… Bon !

— Non, mon oncle ! C’est pas tant ça !… Mais je voudrais partir…

— Partir ! Partir ! Mais partir où ?… Mais ça te turlupine, mon petit crabe !… Mais je te comprends plus du tout !… Tu veux retourner dans ton bled ?… T’en veux pousser des carottes ?

— Oh ! Non ! mon oncle… Ça je veux pas !… Je voudrais m’engager…

— Une idée qui te traverse toute cuite ?… Oh ! ben, alors ! T’y vas rondement !… T’engager ?… Où ?… Mais pour quoi faire ?… T’as tout ton temps mon poulot !… Tu t’en iras avec ta classe ! Qu’est-ce qui te précipite ?… t’as la vocation militaire ?… C’est marrant quand même !… » Il me considérait avec soin… Il me retrouvait tout insolite… Il me dévisageait…

« Ça c’est une lubie, mon lapin… Ça te prend comme une envie de pisser !… Mais ça te passera aussi de même !… Tu vas pas devenir comme Courtial ? Tu veux tourner hurluberlu ?… Ah ! ben dis donc tes parents ?… T’as pas réfléchi un petit peu ?… Comment qu’ils vont chanter alors ? Ah ! la sérénade ! Ah ! j’ai pas fini d’entendre ! Ils diront que c’est moi le responsable !… Ah ! Alors minute !… Que je t’ai foutu des drôles d’idées ! Que t’es sinoque comme ton dabe !… »

Il était pas content du tout… J’ai voulu tout lui avouer !… Comme ça d’emblée… N’importe quoi !… N’importe comment !…

« Mais je sais pas rien faire mon oncle… Je suis pas sérieux… Je suis pas raisonnable…

— Mais si que t’es sérieux ma grosse bouille ! Moi je te connais bien… Mais si ! que t’es raisonnable ! »

J’en pouvais plus moi de chialer…

« Non ! Je suis un farceur mon oncle !…

— Mais non ! Mais non ! mon poulot !… T’es un petit connard au contraire ! T’es la bonne bouille que je te dis !… T’as pas un poil de rusé ! T’es bonnard à toutes les sauces !… Il t’a possédé le vieux coquin ! Tu vois donc pas vieux trésor ? C’est ça que tu peux pas digérer !… Il t’a fait !

— Ah ! non ! Ah ! non !… » J’étais hanté… Je voulais pas des explications. J’ai supplié pour qu’il m’écoute… « Je faisais que de la peine à tout le monde ! » Je lui ai dit et répété… Ah ! Et puis j’avais mal au cœur !… Et puis je lui ai reparlé encore… toujours je ferais de la peine à tout le monde !… C’était ma terrible évidence !…

« T’as bien réfléchi ?…

— Oui mon oncle !… Oui, je te jure, j’ai bien réfléchi !… Je veux m’en aller !… demain… dis… demain…

— Ah ! Mais la maison brûle pas !… Ah ça non !… repose-toi encore ! On part pas comme ça !… En coup de tête… On contracte pas pour un jour !… C’est pour trois années mon ami !… C’est pour mille quatre-vingt-cinq jours… et puis les rabiots !…

— Oui, mon oncle…

— T’es pas si méchant voyons !… Personne te repousse ?… Personne t’accuse !… Ici, t’es pas mal quand même ?… Je t’ai jamais brutalisé ?…

— C’est moi mon oncle qu’est méchant… Je suis pas sérieux. Tu sais pas mon oncle !… Tu sais pas !…

— Ah mais ça te reprend ! Mais c’est une manie, mon pauvre bougre !… que tu te tracasses à ce degré-là !… Mais tu vas te rendre vraiment malade…

— J’y tiens plus mon oncle !… J’y tiens plus !… J’ai l’âge mon oncle !… Je veux partir !… J’irai demain mon oncle !… Tu veux bien ?…

— Pas demain mon pote ! Pas demain ! Tout de suite ! Tiens ! Tout de suite ! » Il s’énervait… « Ah ! ce que t’es têtu quand même ! Mais tu vas attendre une quinzaine ! Et puis même un mois ! Deux semaines pour me faire plaisir ! On verra… d’ailleurs ils voudraient jamais de toi, tel quel !… Ça je peux te le jurer à l’avance… Tu ferais peur à tous les majors !… Il faut d’abord que tu te rebectes ! Ça c’est l’essentiel !… Ils te videraient comme un malpropre !… T’imagines ?… Ils prennent pas les soldats squelettes !… Il faut que tu te rempiffes en kilos !… Dix au moins ! t’entends ?… Ça je t’assure !… Dix pour commencer !… Autrement ! Barca !… Tu veux aller à la guerre ?… Ah ! mais ! Ah ! mais ! Tu tiendrais comme un fétu !… Qui c’est qui m’a flanqué un zouave qu’est gros comme un souffle… Allons ! Allons ! à plus tard !… Allez ! Chère épingle ! rentre-moi donc ces soupirs !… Ah ! ben ! Ils auraient de quoi rire !… Ils s’emmerderaient pas au Conseil de te voir en peau et en os !… Et au corps de garde ?… Ah ! ça serait la crise ! Salut soldat Pleurnichon !… T’aimes pas mieux “ sapeur ” ?… Où ça que tu vas t’engager ?… T’en sais rien encore ?… Alors comment que tu te décides ?… »

Ça m’était bien égal en fait…

« Je sais pas mon oncle !…

— Tu sais rien !… Tu sais jamais rien !…

— Je t’aime bien mon oncle, tu sais !… Mais je peux plus rester !… Je peux plus !… T’es bien bon toi, avec moi !… Je mérite pas mon oncle ! Je mérite pas !…

— Pourquoi ça que tu mérites pas ?… dis petit con ?…

— Je sais pas mon oncle !… Je te fais du chagrin aussi !… Je veux partir mon oncle !… Je veux aller m’engager demain.

— Ah ! ben alors c’est entendu !… J’accepte ! Ça va ! C’est conclu ! Mais ça nous dit toujours pas quel régiment que t’as choisi ?… Ah ! mais c’est que t’as juste le temps !… » Il se moquait de moi dans la combine.

« Tu veux pas aller dans la “ griffe ” ?… T’es pour la “ Reine des Batailles ” ?… Non ?… Je vois ça !… Tu veux rien porter !… Les trente-deux kilos ?… Tu voudrais mon fiotte ! tu voudrais qu’on te porte ! Dissimulez-vous Nom de Dieu !… T’en pinces pas ?… Sous le fumier là qu’est à gauche !… Au défilé ! Un ! deux ! un ! deux !… T’en veux pas des belles manœuvres ?… Ah ! Ah ! mon lascar !… Utilisez donc votre terrain !… Tu dois être calé dedans ?… T’en as assez vu des terrains ?… Tu sais maintenant comment c’est fait ?… Les poireaux ? la cafouine autour ?… Hein ?… Mais t’aimais mieux les étoiles !… Ah ! Tu changes d’avis ?… T’es pas long !… Astronome alors ?… Astronome !… T’iras au “ 1er Télescope ” ! Régiment de la Lune !… Non ? Tu veux rien de ce que je te présente ?… T’es pas facile à contenter ! Je vois que t’aimes mieux la “ griffe ” quand même !… T’es-t’y bon marcheur ?… T’en auras des cloques mon jésus !… “ Les godillots sont lourds dans le sac ! les godillots !… ” T’aimes mieux des furoncles aux fesses ?… Alors bon ! dans la cavalerie !… En fourrageur ! Nom de Dieu !… Dans les petits matafs ça te dit rien ?…

Y a de la goutte à boire là-haut !

Y a de la goutte à boire !… »

Il faisait le clairon avec sa bouche : « Ta ra ta ta ta ! Ta ta ta !…

— Ah ! Pas ça mon oncle !… Pas ça !… » Il me rappelait l’autre numéro.

« Comme t’es sensible, ma pauvre bouille !… Comment que tu feras bien dans la vache bataille ?… Attends !… T’as pas tout réfléchi ?… Reste là ! T’as encore cinq minutes !… Reste avec moi encore un peu… Une affaire de deux, trois semaines !… Le temps que ça se dessine !… Tiens mettons un mois !…

— Non mon oncle !… J’aime mieux tout de suite…

— Ah ! ben toi ! t’es comme ta mère !… Quand t’as une musique dans le cassis, tu l’as pas ailleurs !… Ah ! Je sais plus quoi te dire… Tu voudrais pas être cuirassier ?… Gras à lard comme te voilà, tu ferais pas mal sur un cheval ! Ils te verraient plus dans ta cuirasse !… Tu serais fantôme au régiment !… Tu risquerais plus un coup de pique !… Ça c’est une affaire !… Ah ! C’est la merveilleuse idée ! Mais là encore faut que t’engraisses !… même comme fantôme t’as pas assez !… Ma pauvre andouille, il te manque au moins dix kilos !… Et je suis pas exagéré !… Toujours dix kilos !… T’aimes mieux cette combinaison-là ?…

— Oui mon oncle !…

— Je te vois d’ici moi, à la charge !… » Moi je voyais rien du tout !…

« Oui mon oncle !… Oui, je veux bien attendre…

— Les “ Gros frères ” ! Ferdinand !… “ Gros frère !… ” L’ami des nourrices ! Le soutien de la “ fantabosse ” ! La terreur des artilleries !… On aura de tout dans la famille !… T’iras pas dans la marine… T’as déjà comme ça le mal de mer !… Alors tu comprends ?… Et ton père qu’a fait cinq années ? Qu’est-ce qu’il va nous dire ?… Lui, c’était dans les batteries lourdes !… On aura de tout dans la famille !… Toute l’armée mon pote !… Le 14 juillet chez soi !… Hein ?… Taratata ! Ta ta ta !… »

Toujours pour me dérider, il a cherché son képi, il était au-dessus de la cheminée, à droite près de la glace… Je le vois encore son pompon, un petit poussin jaune… Il se l’est posé en bataille…

« Voilà Ferdinand ! Toute l’armée… » C’était joyeux comme conclusion.

« Ah ! va donc ! qu’il s’est ravisé… Tout ça c’est du flan !… T’as pas fini de changer d’avis !… Elle est pas encore dans le sac ta feuille… ton matricule ? mon pote ? Va mon petit tringlot !… T’as bien le temps !… » Il a soupiré… « C’est jamais la place qui manque pour faire des conneries !… Actuellement t’es bouleversé… Ça se comprend un peu… T’as chialé comme une Madeleine… Tu dois avoir beaucoup soif !… Non ?… Tu veux pas un coup de ginglard ?… J’ai un calvados extra !… Je te mettrais du sucre avec… T’en veux pas ?… T’aimes mieux un coup de rouge tout simple, du rouquin maison ? Tu veux que je te le fasse chauffer ?… Tu veux pas une camomille ?… Tu veux pas un coup d’anisette ?… T’aimes mieux un coup de polochon ? Je vois tout ce que c’est !… Du roupillon pour commencer !… C’est la sagesse même !… C’est moi qui déconne tu vois… Ton besoin, c’est dix heures d’affile… Allez ouste !… mon cher neveu !… Assez bavoché comme ça ! Sortons la litière du Jésus !… Ah ! le pauvre vieux mironton !… Il a eu bien trop de misères ! Ça te réussit pas la campagne ! Ça mon fiote je l’aurais juré… Reste donc toujours avec moi !…

— Je voudrais bien mon oncle… Je voudrais bien !… Mais c’est pas possible, je te jure !… Plus tard mon oncle !… Plus tard ? tu veux pas ?… Je ferais rien de bon mon oncle, tout de suite… Je pourrais plus !… Dis mon oncle, tu veux bien que je parte ?… Dis que tu demanderas à papa ?… Je suis sûr qu’il voudra bien lui !…

— Mais non ! Mais non !… Moi je ne veux pas… » Ça le mettait en boule… « Ah ! Ce que t’es têtu quand même !… Ah ! Ce que tu peux être obstiné !… absolument comme Clémence !… Ma parole ! Tu tiens de famille !… Mais tu te ravages à plaisir !… Mais le régiment mon petit pote !… mais c’est pas comme tu t’imagines !… C’est plus dur encore qu’un boulot !… Tu peux pas te rendre compte… Surtout à ton âge !… Les autres, ils ont vingt et une piges ! c’est déjà un avantage. T’aurais pas la force de tenir… On te ramasserait à la cuiller…

— Je sais pas mon oncle, mais ça vaudrait mieux que j’essaye !…

— Ah ! Du coup, c’est de la manie !… Allez ! Allez ! On va se pieuter ! Maintenant tu dis plus que des sottises, demain nous en reparlerons… Moi je crois surtout que t’es à bout… C’est une idée comme une fièvre. Tu bafouilles et puis c’est marre… Ah ! Ils t’ont fadé comme coup de serpe… Ah ! il était grand temps que tu rentres !… Ah ! Ils t’ont bien arrangé !… Ils t’ont soigné les agricoles !… Ah ! c’est le bouquet !… Maintenant tu déconnes ! Eh bien mon colon !… Ah ! moi alors, je vais te restaurer… Et tu vas me cacher quelque chose !… Ça je peux déjà maintenant te prévenir !… Tous les jours des farineux !… du beurre ! et de la carne ! et de première !… pas des petites côtelettes je t’assure !… Et du chocolat chaque matin !… Et puis l’huile de foie de morue à la bonne timbale ! Ah ! Mais moi je sais ce qu’il faut faire !… C’est fini les cropinettes ! et les sauces de courant d’air !… Mais oui mon petit ours !… C’est terminé la claquette !… Allons ouste ! au plume à présent !… Tout ça c’est des balivernes !… T’es simplement impressionné !… Voilà moi, ce que je trouve… T’es retourné de fond en comble !… À ton âge, on se rempiffe d’autor !… Il suffit de plus y penser !… Penser à autre chose !… Et de bouffer comme quatre !… comme trente-six !… Dans huit jours ça paraîtra plus ! C’est garanti Banque de France ! Et Potard Potin ! »

On a sorti le pageot de l’armoire… Le lit-cage qui grinçait de partout… Il était devenu minuscule… Quand j’ai essayé de m’allonger je m’emmêlais dans les barreaux. J’ai mieux aimé le matelas par terre… Il m’en a mis un deuxième… un matelas à lui… Je tremblais encore comme une feuille… Il m’a redonné des couvertures… Je continuais la grelotte… Il m’a complètement recouvert, enseveli sous un tas de manteaux… Toutes ses peaux d’ours je les avais dessus… Y avait un choix dans l’armoire !… Je frissonnais quand même… Je regardais les murs de la piaule… Ils avaient aussi rapetissé !… C’était dans la pièce du milieu, celle de L’Angélus

« Je peux pas t’en fourrer davantage ! Hein ?… Dis mon vieux crocodile ? Je peux pas quand même t’étouffer ?… Tu vois pas ça ?… que je te retrouve plus ?… Ah ben ! ça serait du guignolet ! du propre !… du mimi ! Ah ben ! ça me ferait un beau troufion !… Estourbi sous les couvertures !… Tu parles alors d’une chanson !… Eh ben ! Je serais frais moi dans le coup !… Ah ils m’arrangeraient au Passage !… Oh ben oui ! Le cher enfant !… Le trésor ! Je serais coquet pour m’expliquer !… Péri dans son jus le monstre ! Pfouac ! Absolument ! Oh ! là ! là ! Quelle manigance !… Mon empereur n’en jetez plus !… La cour est pleine !… » Je me saccadais pour rire en chœur… Il est allé vers sa chambre… Il me prévenait encore de loin…

« Dis donc je laisse ma porte ouverte !… Si t’as besoin de quelque chose aie pas peur d’appeler ! C’est pas une honte d’être malade… J’arriverai immédiatement !… Si t’as encore la colique tu sais où sont les cabinets ?… C’est le petit couloir qu’est à gauche !… Te trompe pas pour l’escalier !… Y a la “ Pigeon ” sur la console… T’auras pas besoin de la souffler… Et puis si t’as envie de vomir… t’aimes pas mieux un vase de nuit ?…

— Oh ! non mon oncle… J’irai là-bas…

— Bon ! Mais alors si tu te lèves passe-toi tout de suite un pardessus ! Tape dans le tas ! n’importe lequel… Dans le couloir t’attraperais la crève… C’est pas les pardessus qui manquent !…

— Non mon oncle. »

FIN
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