Courtial, le lendemain matin, comme ça vers onze heures, quand il est revenu de Montretout il était encore bien gêné !…

« Alors, Ferdinand ? Rien de nouveau ?…

— Oh ! Non ! que je réponds… Rien d’extraordinaire…

— Et c’est moi en retour qui le questionne… — Alors ? Ça s’est arrangé ?…

— Arrangé quoi ?… » Il fait l’idiot… « Ah ! Vous voulez dire pour hier ? » Il enchaîne, il passe à l’esbroufe… « Ah ! Écoutez-moi, Ferdinand ! Vous avez pas pris quand même des pareils ragots pour argent liquide ? Non ?… C’est ma femme, c’est entendu !… Je la vénère par-dessus tout… et jamais entre nous deux il y a eu ça de véritable dispute !… Bon !… Mais il faut dire quand même ce qui est… Elle a tous les travers terribles d’une nature aussi généreuse !… Elle est absolue ! Despotique ! Vous me saisissez, Ferdinand ?… Emportée !… C’est un volcan !… Une dynamite !… Dès qu’il nous arrive un coup dur, elle réagit en bourrasque !… Moi-même, parfois, elle m’épouvante !… La voilà partie !… Et je me monte !… Et je me tarabuste !… Et je bafouille !… Et j’en perds la tête !… Et je te déconne à pleins tubes !… Quand on est une fois au courant, ça va !… On se frappe plus !… C’est aussi vite oublié qu’un orage aux courses !… Mais je te le répète, Ferdinand ! En trente-deux années de ménage… beaucoup d’émotions certainement ! Mais pas une véritable tempête !… Tous les couples ont leurs disputes… Je veux bien qu’en ce moment même nous traversons une vilaine passe !… Ça c’est bien certain… Mais enfin on en a vu d’autres… et franchi des plus redoutables !… C’est pas encore le déluge !… De là nous voir complètement raides !… Destitués ! Expulsés !… Vendus !… Séquestrés !… C’est de la sale imagination… Je proteste !… La pauvre chouchoute ! Ça serait moi évidemment le dernier à lui en vouloir !… Tout ça bien sûr peut s’expliquer !… C’est dans son pavillon là-bas qu’elle se forge ainsi des chimères !… toute la journée entière toute seule !… à réfléchir !… Ça la travaille… ça la possède à la fin !… Elle se monte !… Elle se monte !… Elle se rend même plus compte !… Elle voit, elle entend des choses qui n’existent pas !… Elle est d’ailleurs assez sujette depuis son opération… aux fantaisies !… aux impulsions !… Je dirai plus même… Quelquefois, elle extravague un peu !… Ah ! oui ! à plusieurs reprises, ça m’a étonné… Des vraies hallucinations !… Absolument qu’elle est sincère… C’est comme ça pour cette plainte… Ah ! Là ! Là !… T’as reconnu tout de suite, bien sûr ?… Tu as compris immédiatement ?… C’était même très drôle !… C’était comique !… Mais elle me l’avait déjà fait !… C’est pour ça que j’ai pas ressauté !… Je l’ai laissé finir !… J’avais pas l’air, hein, surpris ?… T’as remarqué ? J’ai eu l’air de la trouver normale… C’est ça qu’il faut ! Pas l’effrayer ! Pas l’effrayer !…

— Oui ! Oui ! J’ai compris tout de suite…

— Ah ! ben ça, je me disais aussi… Ferdinand il a pas coupé… il est pas crédule à ce point !… Il a dû comprendre… Non pas qu’elle boive, la pauvre amour !… Non ! jamais ça !… C’est une femme absolument sobre !… Sauf pour le tabac… Plutôt même assez puritaine, je dirai dans un sens !… Mais c’est toujours l’opération qui me l’a complètement bouleversée !… Ah ! C’était une tout autre femme !… Ah ! Si tu l’avais vue avant !… Autrefois !… » Il filait encore regarder dessous les piles de paperasses. « Je voudrais pouvoir te la retrouver sa photo de jeunesse ! Son agrandissement de Turin !… Je suis tombé dessus y a pas huit jours… Tu pourrais pas la reconnaître !… Une révolution !… Autrefois, là, je peux t’assurer avant qu’on l’opère… C’était une véritable merveille !… Un port !… Un teint de roses… La beauté soi-même !… Et quel charme, mon ami !… Et la voix !… Un soprano dramatique !… Tout ça “ rasibus ” ! du jour au lendemain !… Au bistouri ! C’est pas croyable !… Je peux bien le dire, sans vanité, méconnaissable ! C’était même parfois gênant… surtout en voyage ! Surtout en Espagne et en Italie !… où ils sont si cavaleurs… Je me souviens bien, j’étais moi-même, à cette époque, assez ombrageux, susceptible… Je prenais la mouche pour des riens… J’ai été en cent occasions à deux doigts d’un duel !… »

Il lui repassait des réflexions… Je respectais son silence… et puis il se remettait en branle…

« Alors, dis donc, Ferdinand ! C’est pas tout ça !… Parlons à présent des choses sérieuses !… Si tu allais voir l’imprimeur ?… Et puis écoute et sache comprendre !… J’ai retrouvé à la villa… dans le “ secrétaire ”, quelque chose qui peut nous servir !… Si ma femme revenait… qu’elle demande… Tu n’as rien vu !… tu ne sais rien du tout !… Ça n’est qu’une “ reconnaissance ” pour une breloque et un bracelet… Mais tout ça en or massif ! Absolument sûr !… Contrôlé ! dix-huit carats !… Voilà les cachets du “ Crédit ”… On peut faire l’essai !… Tu vas passer chez Sorcelleux, rue Grange-Batelière… Tu lui demanderas ce qu’il en donne ? Que c’est pour moi… Un service !… Tu sais bien où c’est ?… au quatrième, escalier A… Tu te feras pas voir par la concierge !… Pour combien qu’il me la rachète ?… Ça nous ferait quand même une avance !… S’il te dit non… tu repasseras par chez Rotembourg !… rue de la Huchette… Tu lui montreras pas le papier !… Tu lui demanderas s’il est preneur ? Simplement comme ça… Et moi alors après j’irai… Celui-là, c’est pire la crapule !… »

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