J’avais jamais vu Nora en toilette claire, corsage moulé, satin rose… ça faisait bien pointer les nénés… Le mouvement des hanches c’est terrible aussi… L’ondulation, le secret des miches…

On était vers la fin d’avril… Elle a fait encore un effort pour me dérider, me convaincre… Un après-midi, je la vois qui descend un livre avec nous à la promenade… Un gros, un énorme, un genre de la Bible par le poids, la taille… On va vers l’endroit habituel… on s’installe… Elle ouvre le bouquin sur ses genoux… Je peux pas m’empêcher de regarder… Le môme Jonkind, ça lui fit un effet magique… Il plongeait le nez dedans… Il démarrait plus… Les couleurs ça le fascinait… Il était plein d’images ce livre, des magnifiques illustrations… J’avais pas besoin de savoir lire, j’était tout de suite renseigné… Je voyais bien les princes, les hautes lances, les chevaliers… la pourpre, les verts, les grenats, toutes les armures en rubis… Tout le bastringue !… C’était un boulot… C’était bien exécuté… Je m’y connaissais en travail, c’était réussi. Elle tournait doucement les feuillets… Elle commençait à raconter. Elle voulait nous lire mot à mot… Ils étaient terribles ses doigts… c’était comme des rais de lumière, sur chaque feuillet à passer… Je les aurais léchés… je les aurais pompés… J’étais retenu par le charme… Je pipais pas malgré tout… Je regardais le livre pour moi tout seul… J’ai pas posé une question… J’ai pas répété un mot… Jonkind, ce qui lui semblait le plus prodigieux, c’était la belle dorure des tranches… ça l’éblouissait, il allait cueillir des pâquerettes, il revenait en semer plein sur nous, il bourrait les marges avec… Les deux pages les plus admirables c’était au milieu du bouquin… Toute une bataille, en haut, en large… ça représentait une mêlée extraordinaire… Des dromadaires, des éléphants, des Templiers à la charge !… Une hécatombe de cavalerie !… Tous les Barbares en déroute !… Vraiment c’était merveilleux… Je me lassais pas d’admirer… J’allais parler presque… J’allais demander du détail… Zip !… Je me raccroche, je me détériore !… Putain de sort ! Une seconde de plus !… J’ai pas fait un « Ouf » quand même !… Je me suis cramponné au gazon… J’en voulais plus moi, merde ! des histoires !… J’étais vacciné !… Et le petit André alors ? C’était pas lui, la crème des tantes ?… Il m’avait pas fait grimper ? Des fois ?… La fine tournure de charogne ! Je m’en rappelais pas moi des légendes ?… Et de ma connerie ? À propos ? Non ? Une fois embarqué dans les habitudes où ça vous promène ?… Alors, qu’on me casse plus les couilles ! Qu’on me laisse donc tranquille !… Manger ma soupe, mon oignon !… J’aime mieux la caille que des histoires !… Gi ! C’est pesé ! C’est dans la fouille !… J’ai même montré que j’étais un homme, je me suis barré avec Jonkind, je l’ai laissée seule lire son bouquin… En pantaine dans les herbages…

On a couru avec l’idiot jusqu’à la rivière… On est revenus par les pigeons… Au retour, j’ai regardé sa mine… Elle les remportait ses images… Certainement qu’elle me trouvait têtu… Elle avait sûrement du chagrin… Elle était pas pressée de rentrer… On est partis tout doucement… On est restés près du pont… Six heures avaient déjà sonné… Elle regardait l’eau… C’est une forte rivière la Medway… Aux fortes marées elle devient même intrépide… Elle arrive par grandes volutes. Le pont vibre dans les tourbillons… Elle est rauque l’eau, elle fait des bruits creux… des étranglements, dans des grands nœuds jaunes…

Elle se penchait juste au-dessus Nora, et puis elle relevait vite la tête… Elle regardait là-bas, très loin, le jour qui sombrait derrière les maisons de la côte… Ça faisait une lueur sur son visage… Une tristesse qui faisait trembler tous ses traits… Ça montait, elle pouvait plus tenir, ça la rendait toute fragile… Ça la forçait de fermer les yeux…

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