La discipline était foutue. Les mômes en faisaient plus qu’à leur tête… Le vieux osait plus rien leur dire… Ni Nora non plus, ni à la maison ni dehors… Pour jouer à tous les trucs violents, on n’était plus guère qu’une dizaine et pour faire équipe le jeudi, on racolait au hasard des mômes sur la route, des petits chenapans, des inconnus… Il fallait que ça tienne jusqu’à Pâques…
Les jours ont rallongé un peu… Pour que mes parents patientent j’ai écrit des cartes postales, j’ai inventé des fariboles, que je commençais à causer… Tout le monde me félicitait… Le printemps était presque là… Jonkind a attrapé un rhume… Il a toussé pendant quinze jours… On n’osait plus l’emmener si loin. On restait des après-midi sur les glacis du château fort, une énorme ruine pleine d’échos, de cavernes et d’oubliettes… À la moindre averse on se réfugiait sous les voûtes avec les pigeons… c’était leur domaine, ils étaient là par centaines, bien familiers, bien peinards… ils venaient roucouler dans la main, c’est mariole, ces petits bestiaux-là, ça se dandine, ça vous fait de l’œil, ça vous reconnaît immédiatement… Lui Jonkind, ce qu’il préférait, c’était encore les moutons, il s’en donnait à cœur joie, il cavalait après les jeunes, ceux qui trébuchent, qui culbutent. Il roulait avec dans le mouillé, il bêlait en même temps qu’eux… Il jouissait, il se pâmait… il tournait en vrai animal… Il rentrait trempé, traversé. Et il toussait huit jours de plus.
Les éclaircies devenaient fréquentes, il soufflait des nouvelles brises, des odeurs douces et charmeuses. Les jonquilles, les pâquerettes tremblotaient dans toutes les prairies… Le ciel est remonté chez lui, il gardait ses nuages comme tout le monde. Plus de cette espèce de marmelasse qui dégouline sans arrêt, qui dégueule en plein paysage… Pâques il arrivait au mois de mai, les mômes se tenaient plus d’impatience… Ils allaient revoir leurs familles. C’était le moment que je parte aussi… Mon séjour touchait à sa fin. Je m’apprêtais tout doucement… Quand on a reçu un pli spécial, une lettre de mon oncle avec du pèze et un petit mot… Il me disait comme ça de rester, de patienter encore trois mois… que ça valait beaucoup mieux… Il était bien l’oncle Édouard ! C’était une fameuse surprise !… Il avait fait ça de lui-même… C’était son bon cœur… Il le connaissait bien mon père… Il se doutait des tragédies qui allaient sûrement se dérouler si je rentrais encore comme un con, ayant rien appris comme anglais… Ça ferait forcément très vilain…
En somme, j’étais bien rebelle, bien ingrat, bien rebutant… J’aurais pu m’y coller un peu… que ça m’aurait pas écorché… pour lui faire plaisir à lui… Mais au moment où je cédais je sentais le fiel me reprendre toute la gueule… toute la vacherie me remontait… un ragoût abject… Sûrement merde ! que j’apprendrais rien !… Je retournerais plus charogne qu’avant ! Je les ferais chier encore davantage !… Des mois déjà, que je la bouclais !… Ah ! C’est ça ! parler à personne ! Ni ceux d’ici ni ceux de là-bas !… Faut se concentrer quand on est mince… T’ouvres toute ta gueule, on rentre dedans. Voilà le travail à mon avis !… On est pas gros ! On devient duraille ! Je pouvais me taire encore des années moi ! Parfaitement ! J’avais qu’à penser aux Gorloge, au petit André, au Berlope et même à Divonne et à ses pianos ! ses croches ! et ses tours de Lune… Merde ! Le temps y faisait rien du tout !… Ils me revenaient de plus en plus vifs, et même bien plus âcres toujours… Ah !… Ils me restaient sur la coloquinte avec tout les mille corrections, les baffes, les coups de pompe sonnés. Merde ! Et puis toute leur putrissure la complète, et les copains, les lopes, toutes les vapes et leurs sortilèges !… J’allais quoi moi ! de quoi ? penser à des clous ? Ever and ever ! comme l’autre petit glaire… ? Amen ! Amen !… Bigornos !… J’en refaisais moi des grimaces, je me les imitais tout seul ! Je me refaisais la gueule à Antoine, pendant qu’il chiait aux cabinets… C’est moi qui lui chiais sur la gueule. Langage ! Langage ! Parler ? Parler ? Parler quoi ?…