On nous aurait laissés tranquilles qu’on s’en serait tirés presque sûr !… On aurait même sauvé la mise et sans le secours de personne ! Notre Génitron périodique, on pouvait pas dire le contraire il se défendait parfaitement… C’était un journal très suivi… Beaucoup de gens se souviennent encore comme il était intéressant !… Vivant !… d’une ligne à l’autre ! Du commencement jusqu’à la fin ! Toujours parfaitement informé de toutes les choses de la trouvaille et des soucis des inventeurs !

De ce côté-là, pas de charibote… Personne l’a jamais remplacé… Mais, ce qui nous foutait tout par terre, c’était l’autre polichinelle avec sa furie des courses… J’étais absolument sûr qu’il devait rejouer encore… Il avait beau me dire le contraire… Je voyais les mandats arriver… « trois thunes » des abonnés nouveaux ! et yop si là !… Si je prenais pas la précaution de les planquer à l’instant même ils étaient fondus sur place ! C’était fait dans un éclair ! Un vrai prestidigitateur !… Comme ça des ponctions continuelles, pas une tôle peut résister ! Que ça serait la Banque du Pérou !… Il devait bien le claquer quelque part, notre petit pognon ?… Il allait plus aux Émeutes… Il avait donc changé son « bouc » ? Je me disais : Je saurai bien lequel !… Et puis alors, juste au moment, voilà les poursuites qui recommencent !… Elles rebondissent… On le rappelle à la Préfecture !… La petite charogne des « Bons-Enfants », il laissait pas tomber son os ! Il est revenu à l’attaque ! Il nous avait dans les pinces !… Il voulait nous faire crever !… Il a retrouvé des autres victimes… du fameux concours ! Il est allé fouiller exprès dans les « garnos » des Gobelins… Il les excitait sur notre pomme ! Il les remettait en colère ! Il les faisait reporter des replaintes !… C’était plus une existence !… Il fallait bien qu’on avise !… Qu’on se décarcasse d’une façon !… À force de ruminer des choses… voilà ce que nous découvrîmes : fallait diviser pour résoudre !… C’était l’essentiel !… Tous les emmerdeurs en deux classes !… D’un grand côté… tous ceux qui ramenaient pour la forme !… Les mélancoliques, les malchanceux de l’existence !… Ces fiotes-là, c’était bien simple, on leur rendrait rien du tout !… Et puis alors d’autre part ceux qui fumaient énormément, ceux qui sortaient pas du pétard… Ceux-là c’était du péril !… Ceux-là il fallait les atteindre, les atténuer de toute urgence !… discuter avec eux le « bout de gras »… Pas tout leur rendre, évidemment !… C’était impossible !… C’était hors de cause !… Mais quand même leur filer une « fleur »… par exemple une thune ou deux… Comme ça ils perdraient pas tout ! Ils arriveraient peut-être à comprendre le cas majeur du Destin ?… Question alors d’entamer ces jolies démarches, Courtial il a tout de suite pâli… Il s’est dégonflé subito… Il pouvait pas y aller lui-même ? C’était pas concevable !… Ça faisait tout à fait foireux qu’il aille traîner les paillassons… Et l’autorité alors ?… Ça lui perdait sa contenance vis-à-vis des inventeurs… Il fallait que ça soye plutôt moi qu’irais porter la bonne parole !… Moi j’avais aucun prestige, rien à perdre comme amour-propre… Mais quel condé peu baisant ! Je m’en gourais nettement d’avance ! J’aurais bien flanché à mon tour, mais alors c’était la culbute !… Si on laissait dériver, c’était la fin du canard !… et puis après la panique !… Et puis après c’était la cloche !… C’était vraiment la tragédie pour que je me tape moi une corvée aussi cafouilleuse…

Enfin je me suis bien ressouflé, reblindé d’avance. J’ai répété tous les trucs… tout ce que je devais raconter… tout un agencement de bobards… Pourquoi ça n’avait pas collé… dès les préliminaires épreuves !… à cause d’une très grave discussion survenue entre les savants sur un point technique fort controversé… Qu’on referait tout ça l’année prochaine… Enfin une immense musique ! Et je fonce dans la bagarre ! Bourre, petit !… Je devais d’abord leur rendre leurs plans, toutes les maquettes, les épures, les affutiaux biscornus !… en même temps que des excuses…

J’abordais les gars par la bande… Je commençais par leur demander si ils avaient pas reçu ma lettre ?… pour leur annoncer ma visite ?… Non ?… Ils avaient un petit sursaut… Ils se voyaient déjà les gagnants !… Si c’était l’heure de la tambouille, on m’invitait à partager ! Si ils étaient en famille, alors ma jolie mission, ça devenait devant tant de personnes d’une délicatesse extrême !… Il me fallait des trésors de tact ! Ils avaient fait des rêves d’or !… C’était un moment hideux… Fallait pourtant que je les dissuade… J’étais venu exprès pour ça… J’essayais d’y mettre bien des nuances !… Quand le hoquet les prenait, l’envie de briffer leur passait… Ils se redressaient hypnotisés, le regard figé par la stupeur !… Alors je surveillais les couteaux… Y avait du vent dans les assiettes !… Je m’arc-boutais le dos au mur !… La soupière en guise de fronde !… Prêt à bloquer l’agresseur !… Je poursuivais mon raisonnement. Au premier geste un petit peu drôle, c’est moi qui déclenchais le bastringue ! Je visais mon fias en pleine bouille !… Mais, dans la plupart des endroits, cette attitude fort résolue suffisait à me préserver… faisait réfléchir l’amateur… Ça se terminait pas trop mal… en congratulations baveuses… et puis grâce à la vinasse, en chœur de soupirs et de roteries… surtout si je déchais les deux thunes !… Mais une fois, malgré la prudence et l’habitude que j’avais prise… j’ai quand même durement dérouillé… C’était je me souviens, rue de Charonne, exactement au 72, dans un hôtel qu’existe toujours… Le mec, c’était un serrurier, il bricolait dans sa chambre… je suis bien payé pour le savoir… pas au deuxième, mais au troisième… Pour moi, ce type-là, son boulot, c’était de rassembler des trousses de « cambrioleurs »… Enfin lui, son invention pour le concours « Perpétuel », ça consistait en un moulin du genre dynamo, à prise « faradique variable »… Il accumulait avec ça les forces de l’orage… Ensuite ça n’arrêtait plus… d’un équinoxe jusqu’à l’autre…

J’arrive donc, j’avise son tôlier en bas, je lui demande le nom : « C’est au troisième ! »… Je monte… je frappe… j’étais bien moulu… J’en avais déjà plein mon sac… Je lui lâche le morceau d’un seul coup ! Le mec, il répond même pas… Je l’avais moi regardé à peine… C’était un véritable athlète !… J’avais même pas fini de causer… Pas un mot !… « Baoum !… » Il me charge !… la brute m’emboutit !… Je prends tout dans le buffet !… Je bascule… Je cascade à la renverse… un taureau furieux !… Je débouline… Je carambole les trois étages… On me ramasse sur le trottoir… J’étais plus qu’une cloque… Un amas sanglant… On m’a ramené dans un sapin ! Profitant que j’étais évanoui tous les potes m’avaient fait les fouilles… J’avais même plus mes deux thunes !…

À la suite de cette collision, j’ai encore fait plus salement gaffe… J’entrais pas tout de suite dans les crèches… Je parlementais du dehors… Pour les réclamations de Province nous avions un autre système… On leur certifiait toujours que c’était parti par une lettre leur petit fafiot… que ça pouvait plus tarder… que ça s’était trompé d’adresse… de département… de prénom… de n’importe quoi !… parmi les afflux du concours… À la fin, ils en avaient marre de correspondre avec tout le monde… Ils se ruinaient en timbres-poste…

Avec les furieux, c’est franc… c’est une question de corrida… C’est de sauter la balustrade avant qu’ils vous écornent les tripes !… Mais avec les tendres, les effarouchés, les timides, ceux qui pensent tout de suite au suicide… c’est alors qu’on se trouve à la bourre !… La désillusion est trop forte !… ils supportent pas leur chagrin !… ils baissent le nez dans la panade, ils bégayent… Ils comprennent plus… La sueur leur perle, les lorgnons chutent… Ils ont la foire dans le visage… C’est pas supportable à regarder… C’est les cocus de la marotte… Y en a qui veulent en finir… Ils s’assoyent, ils se relèvent… ils s’épongent… Ils en croient plus leurs oreilles que leur fourbi fonctionnait mal… Il faut qu’on leur répète doucement, qu’on leur glisse leurs plans dans la main… Ils s’abandonnent au malheur ! Ils veulent plus vivre !… plus respirer !… Ils s’écroulent !…

À force d’en dire comme ça des mots, pour les cataplasmes, je me démerdais de mieux en mieux. Je savais les phrases qui consolent… Les Profundis des Espérances !… À l’issue de mes visites on restait quelquefois copains… Je m’organisais des sympathies… Du côté de la plaine Saint-Maur, j’en avais tout un groupement… des vrais passionnés de nos recherches… qu’avaient bien compris mes efforts… De la Porte Villemomble à Vincennes j’en connaissais des quantités ! des fins tireurs de plans magiques et pas du tout vindicatifs… Et dans la banlieue Ouest aussi… C’est dans une guitoune « ondulée », juste après la Porte Clignancourt, où y a maintenant des Portugais, que j’ai connu deux « brocos » qu’avaient monté avec des cheveux, des allumettes, sur un « tortil » élastique, trois cordes à violon, un petit système compensateur avec entraînement sur virole qui semblait vraiment fonctionner… C’était la force hygrométrique !… Le tout tenait dans un dé à coudre !… C’est le seul vraiment « Perpétuel » que j’ai vu marcher un petit peu.

C’est rare les femmes que ça invente… Et pourtant j’en ai connu une… Elle était comptable au chemin de fer. Pendant ses heures de loisir elle décomposait l’eau de la Seine avec une épingle de nourrice. Elle promenait un gros attirail, un appareil pneumatique, une bobine Rumpkorf dans un haveneau pour la pêche. Y avait en plus une lampe de poche et un élément picrate. Elle récupérait les essences au fil du courant… Et même les acides… Elle se mettait pour ses expériences à la hauteur du Pont-Marie, juste en amont du « Lavoir »… Ça la cavalait l’hydrolyse !… Elle était pas très mal roulée… Seulement elle avait un tic et puis elle louchait… Je me suis présenté comme ça du journal… Elle a cru d’abord comme les autres qu’elle venait de gagner le gros lot. Elle a insisté pour que je reste… Elle a été me chercher des roses !… J’avais beau dire et beau faire… Elle comprenait rien… Elle voulait me prendre une photo !… Elle avait un appareil qui marchait par les « infra-rouges »… Il fallait qu’elle ferme les fenêtres… J’y suis retourné encore deux fois… Elle me trouvait joliment beau gosse… Elle voulait que je l’épouse de suite. Elle a continué à m’écrire… et des messages recommandés… Mlle Lambrisse, elle s’appelait… Juliette.

Je lui ai pris une fois cent francs… et une fois cinquante… Mais c’était des cas rarissimes !…

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