On part au musée ensemble avec Gorloge dessiner le fameux magot. Il était bien intéressant dans sa petite vitrine, absolument seul et peinard, sur un minuscule pliant, il se marrait tout à lui-même, houlette au côté…

On prend bien notre temps nous autres, on copie, on réduit l’esquisse au centième… On prépare une petite maquette… Tout ça se passe admirablement. Je pique avec Robert, rue Francœur, au comptoir Judéo-Suisse, chercher de l’or « à dix-huit » pour cent francs d’un coup et puis pour cinquante francs de soudure… On le range bien ce petit lingot, on le boucle à deux tours dans la caisse… C’était pas arrivé depuis quatre ans, qu’on ait gardé du métal passer la nuit rue Elzévir… Quand le modelage a été fini, on l’a envoyé au moule… Trois fois de suite ils l’ont loupé !… Il a fallu qu’ils recommencent… Ça comprend jamais les fondeurs !… Le temps passait… On finissait par s’agacer… Et puis tout de même ils ont pigé. C’était pas mal dans l’ensemble… Il commençait le dieu à prendre forme… Il s’agissait d’en finir, de décaper, de buriner à même la pièce…

Voilà juste à ce moment-là, qu’il arrive une tuile… Les gendarmes cherchent après Gorloge… Toute la maison est en émoi… C’était pour qu’il parte immédiatement faire ses vingt-huit jours… Il avait plus de délai possible… Il les avait déjà tous eus… Il couperait pas aux grandes manœuvres… Il fallait qu’il abandonne le « Dieu de Bonheur » en train… C’était pas une chose à bâcler… C’était une question de fignolage…

Puisqu’il pouvait plus transiger, Gorloge a décidé comme ça… Que c’est Antoine qui terminerait… qui l’achèverait posément… Que c’est moi qui livrerais… Y avait plus que cent francs à toucher… Pour ça Gorloge irait lui-même !… Il l’a nettement spécifié !… En revenant de sa période… Il gardait une sacrée méfiance.

Si il plaisait à notre Chinois, on en ferait des autres voilà tout, des Çâkya-Mouni, tout en or ! On s’arrêterait pas pour si peu. On arrangeait l’avenir en rose… Le renouveau de la ciselure, il viendrait peut-être d’Extrême-Orient… Ah ! tout l’escalier, le nôtre, le B, il en bourdonnait de notre histoire, ils en bavaient des bigornos tous les bricoleurs des étages, ils en revenaient pas de notre chance ! D’une aubaine pareille ! Déjà, ils parlaient partout qu’on recevait des chèques de Pékin.

Gorloge, il traînaillait encore à la toute dernière seconde. Il allait avoir des ennuis. Avec Antoine, ils se relayaient sur le petit bonhomme. Y avait des détails insensés, des si menus, si infimes, que même à la loupe on les voyait pas tout à fait. Sur sa petite chaise… la houlette… et puis sur la petite gueule surtout… Un tout minuscule sourire… ça c’était difficile à rendre ! Ils rognaient encore des grains avec une précelle aiguë, affinée, comme un ongle… Il lui manquait presque plus rien… Il était la copie « au poil » ! Mais quand même c’était préférable qu’Antoine réfléchisse encore… S’y remettre dans quatre ou cinq jours… Ça ferait un boulot raffiné…

Gorloge, enfin, s’est décidé, il a bien fallu qu’il s’élance. Les gendarmes sont revenus encore…

Le lendemain, je le vois, quand j’arrive, il était nippé en soldat et de pied en cap… Il avait mis l’énorme roupane, la godailleuse à deux boutons, les coins relevés en cornet de frite… Képi, pompon vert et grimpants garance assortis… Ainsi, il est descendu… Le petit Robert portait sa musette. Elle était sérieusement chargée, avec trois camemberts d’abord, et des « vivants » que tout le monde en faisait la remarque… Et deux litres de blanc et encore des petites canettes, un assortiment de chaussettes… et la chemise de nuit en tricot pour coucher dehors…

Les voisins sont tous descendus en foule des étages, en treillis, savates… Ils ont molardé tant et plus, ils ont rempli les paillassons… Ils ont souhaité bon courage. Je l’ai accompagné Gorloge, jusque devant la gare de l’Est, après le carrefour Magenta. Ça le souciait beaucoup de partir, au moment juste de cette commande. Il me répétait ses instructions. Il se tracassait infiniment de pas pouvoir finir lui-même… Enfin il m’a fait « Au revoir »… Il m’a recommandé d’être sage… Il a suivi la pancarte… C’était déjà rempli de griffetons tous les abords… Y avait des mecs qui râlaient qu’on barrait la route tous les deux à nous faire des boniments… Il a fallu que je me tire…

En arrivant rue Elzévir, quand je suis repassé devant la loge, la bignolle elle m’interpelle :

« Hé dis donc ! qu’elle me fait comme ça. Viens voir par ici, Ferdinand !… Alors dis donc, il est parti ?… Il s’est décidé quand même ! Eh bien il a réfléchi !… Il aura pas froid là-bas ! Il en aura des chaleurs ! Heureusement qu’il a pris de quoi boire. Il en rotera pour les manœuvres ! Merde ! La vache ! Il va transpirer ton cocu !… »

Elle me disait ça pour me mettre en train, pour me faire causer un peu. J’ai rien répondu. J’en avais plein le bouc des ragots. Ah ! oui alors ! Je devenais extrêmement soupçonneux… J’avais bien raison… Et pas encore assez d’ailleurs !… La suite me l’a bien prouvé.

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