On a eu deux fenêtres de cassées dans la même semaine… D’autres péquenots en bicyclette qui passaient exprès en trombe… Ils nous lapidaient de plus en plus… Ils se planquaient, ils revenaient encore… Ça devenait infect comme rancune… Et on se tenait pourtant peinards !… On ripostait rien du tout !… Et on aurait certainement dû… c’était de la provocation !… Un bon coup de tromblon dans les fesses ! Nos pionniers, ils se montraient plus… Ils sortaient seulement avant l’aube, juste à peine une heure ou deux entre chien et loup… au tout petit matin pour y voir quand même un peu clair… Des clebs ils en avaient mis, les cultivateurs, dans tous les enclos du canton… Déchaînés, féroces, des monstres enragés !…

En plus, nous manquions bien de godasses pour ces terribles périples dans les sentiers en rocaille… C’était la torture !… Les mignards, même bien entraînés ils se coupaient souvent… Au petit jour, leurs fringues, sous la pluie, surtout comme ça début novembre, ça faisait des drôles de cataplasmes !… Ils toussaient de plus en plus fort… Ils avaient beau être solides et flibustiers et petites canailles !… ils étaient pas exempts de bronchite !… Dans les pistes de gros labours ils enfonçaient jusqu’aux fesses !… Au froid sec ils en pouvaient plus… C’était plus possible sans tatanes !… Ils auraient perdu leurs arpions… Au vent d’hiver, notre plateau, il prenait bien les bourrasques… C’était balayé du Nord !… Le soir on se réchauffait bien, mais on étouffait dans la crèche, tellement que la fumée bourrait !… rabattait du fond de la hotte !… C’était au bois tout humide, y avait plus de charbon depuis des semaines… on en pouvait plus… on éteignait tout !… On avait peur que ça reprenne… on jetait de l’eau sur les tisons… Les mêmes avaient plus qu’à se coucher…

Assez souvent vers minuit Courtial se relevait encore… Il pouvait pas s’endormir… Avec sa lanterne, la « sourde », il piquait vers le hangar, farfouiller un peu son système… le remettre pour quelques minutes en route… Sa femme tressautait dans sa paille, elle allait se rendre compte avec lui… Je les entendais se provoquer dans le fin fond de la cour…

Elle revenait après ça dare-dare… Elle me réveillait… Elle voulait me montrer les patates… Ah ! c’était pas très joli !… Celles qui poussaient dans les ondes… l’allure pustuleuse… répugnante !… Merde ! Elle me prenait à témoin !… Elles grossissaient pas beaucoup… C’était assez évident… J’osais pas trop faire la remarque… trop abonder dans son sens… mais je pouvais pas dire le contraire… Rongées… racornies, immondes bien pourries… et en plus pleines d’asticots !… Voilà les patates à Courtial !… On pourrait même pas les briffer… même dans la soupe pour nous autres… Et que nous étions pas difficiles !… Elle était parfaitement certaine, Mme des Pereires, que la culture était loupée…

« Et c’est ça, lui Ferdinand, qu’il prétend aller revendre aux Halles ? Hein ? Dis-moi ça !… À qui donc ?… C’est un comble ! Ah ! quelle culotte ! Je me demande un peu !… Où qu’il peut percher son connard qui va lui acheter des telles ordures ?… Où qu’il est donc cette bille de clown que je lui envoye une corbeille !… Ah ! dis donc, je voudrais le voir tout de suite !… Ah ! Il est blindé mon zébu ! Ah ! dis donc alors quand j’y pense !… Pour quoi qu’il doit me prendre ?… »

C’est vrai qu’elles étaient infectes !… Des patates pourtant fignolées !… Des provenances méticuleuses !… Choyées parfaitement jour et nuit !… Moisies tout à fait… grouillantes de vermine, des larves avec des mille-pattes… et puis une très vilaine odeur ! infiniment nauséeuse !… en dépit du froid intense… Ça même c’était pas ordinaire… C’était le phénomène insolite !… C’est l’odeur qui me faisait tiquer… La patate puante… ça se voit très rarement… Un coup de la malchance bien étrange…

— Chutt ! Chutt !… que je lui faisais… Vous allez réveiller les gniards !…

Elle retournait au champ d’expérience… Elle emmenait avec elle son falot… et puis sa pelle-bêche… Il faisait du 8°… 10° au-dessous… Elle recherchait les plus véreuses, elle les arrachait une par une… Tant que ça pouvait ! jusqu’au petit jour…

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