Ça vraiment on peut pas dire qu’elle ait jamais manqué de courage ni de persévérance !… ni d’abnégation… Pas un seul jour ! pour rapproprier cette vieille turne elle a réussi des prodiges !… Elle arrêtait pas de trafiquer… Rien marchait plus… tirait plus… ni la pompe ni le moulin qui devait monter l’eau… L’âtre il s’écroulait dans la soupe… Il a fallu qu’elle mastique toutes les fentes dans les clôtures, qu’elle bouche elle-même tous les trous… toutes les fissures de la cheminée… qu’elle rafistole les volets, qu’elle remette des tuiles, des ardoises… Elle grimpait sur toutes les gouttières… Mais cependant au premier orage il a plu beaucoup dans les piaules envers et quand même… par les trous du toit… On mettait là-dessous des timbales… une pour chaque rigole… De réformes en transformations, elle s’appuyait des vrais boulots, pas que des petites bricoles !… Elle a remplacé comme ça les gonds énormes de la grande porte, la grande « maraîchère »… L’ébénisterie… la serrurerie… rien lui faisait peur… Elle devenait parfaitement adroite… On aurait dit un compagnon… Et puis bien sûr, tout le ménage et la tambouille c’était son business… Elle le disait bien elle-même, aucune entreprise lui faisait peur, hormis la lessive !… De ça, y en avait de moins en moins… Nous avions le trousseau « minimum »… Des chemises à peine… et des chaussures plus du tout.

Pour les lézardes des gros murs, elle s’était gourée un petit peu, elle avait loupé son plâtre !… Des Pereires, il faisait la critique, il aurait voulu qu’on recommence… seulement nous avions d’autres soucis !… C’est bien grâce à elle, en définitive, que cette tanière vermoulue a repris un peu consistance… enfin, plus ou moins. C’était qu’une ruine tout de même… quoi qu’on fasse pour la requinquer elle tournait gadouille…

Elle avait beau être héroïne son opération des ovaires ça la tracassait de plus en plus notre pauvre daronne… Peut-être les trop grands efforts ?… Elle transpirait par vraies cascades… Elle en ruisselait dans ses bacchantes… avec les bouffées congestives… Le soir elle était si à cran, tellement excédée du poireau… qu’au moindre mot un peu de travers… Taraboum !… C’était l’orage ! Une intense furie !… Crispée en boule elle attendait… elle explosait pour des riens… Ça finissait plus l’engueulade…

Ce qu’il fallait surtout se méfier, c’était des moindres allusions aux belles histoires de Montretout !… Elle les gardait sur l’œsophage… Ça la rongeait comme une tumeur. Sitôt qu’on en touchait un mot, elle nous traitait horriblement, elle disait que c’était un complot !… Elle nous appelait des suçons, des lopes, des vampires… Il fallait qu’on la couche de force !…

Le difficile pour des Pereires c’était toujours de se décider à propos de son fameux légume… Il fallait trouver autre chose… On doutait maintenant des radis… Quel légume qu’on entreprendrait ?… Lequel qui serait approprié à la radio-tellurie ?… Et qu’on ferait décupler de volume ?… Et puis y avait le choix du terrain !… C’était pas une petite question !… C’était des minutieuses recherches… Nous avions déjà donné des petits coups de pelle exploratrice dans tous les lopins de la région, à quinze kilomètres à la ronde !… On se lancerait donc pas à lure-lure… On réfléchissait ! C’est tout…

À l’opposé de Persant, c’est-à-dire au sud, dans le cours de nos prospections, nous sommes tombés, un joli jour, sur un village bien agréable, vraiment accueillant… C’était Saligons-en-Mesloir !… C’était assez loin à pied… Il fallait au moins deux bonnes heures de Blême-le-Petit… Jamais notre rombière aurait l’idée de venir nous relancer dans cette planque… La terre tout autour de Mesloir, Courtial l’a découvert tout de suite, était bien plus riche que la nôtre en teneur « radio-métallique » et par conséquent, d’après ses estimations, infiniment plus féconde, et rapidement exploitable… On est revenus l’étudier presque chaque après-midi !… Le fort de ce terreau-là, c’était son « cadmio-potassique ! » et son calcium particulier !… Au toucher, à l’odeur surtout, on s’apercevait… il sentait tout de suite des Pereires, il paraît qu’en fait de teneur c’était simplement prodigieux… En y repensant davantage, il arrivait à se demander si ça ne serait pas même par trop riche pour catalyser « tellurique ! »… Si on atteindrait pas des fois des concentrations si fortes qu’on ferait péter nos légumes ?…

Ah ! à leur faire éclater la pulpe !… C’était le danger, le seul point critique… Il le pressentait… Il aurait alors fallu renoncer aux petites primeurs, dans ce terrain vraiment trop riche… Choisir quelque chose de rustre et de vulgairement résistant… Le potiron par exemple… Mais alors pour les débouchés ?… Un seul potiron par ville ?… Un monumental ? Le marché n’absorberait pas tout !… C’était le moment de se concerter ! C’était des nouveaux problèmes ! L’action c’est toujours comme ça.

Dans ce patelin de Saligons les cafetiers faisaient surtout du cidre… Et qui sentait pas l’urine ! ce qui est, il faut bien l’avouer, tout à fait rare en pleine campagne ! Il montait un peu à la tête, surtout leur mousseux… On s’était mis à bien en boire… pendant nos tournées prospectrices ! Ça se passait tout à la Grosse Boule… la seule auberge de l’endroit… Nous y retournâmes de plus en plus… c’était central et bien placé juste devant le marché aux bestiaux… La conversation des bouseux ça nous instruisait des usages…

Des Pereires il a fait qu’un bond pour se jeter sur le Paris-Sport… Y a longtemps qu’il était sevré… Comme il parlait à tout le monde… il a tout pu leur faire connaître en échange des bons procédés… des petites leçons sur le cheptel… quelques excellentes manières, infiniment ingénieuses pour jouer à Vincennes… même à grande distance… Il se faisait des belles relations… C’était le rendez-vous des éleveurs… Je le laissais causer… Moi la bonniche elle me revenait bien… Elle avait le cul presque carré tellement qu’il était fait en muscles. Ses nichons aussi de même c’était pas croyable comme dureté… Plus on secouait dessus, plus ils se tendaient… Une défense terrible… On y avait jamais mangé le crac… Je lui ai tout montré… ce que je savais… Ce fut un coup magnétique ! Elle voulait quitter son débit, venir avec nous à la ferme ! Avec la mère des Pereires, ça aurait pas été possible… Surtout qu’à présent la vieille elle sentait un peu la vapeur… elle trouvait qu’on y allait souvent du côté de ce Mesloir… Elle se gourait d’un petit paillon… Elle nous posait des drôles de colles… On restait fort embarrassés… La prospection des légumes, elle y croyait de moins en moins… Elle nous cherchait la petite bête… L’été s’avançait sérieusement… ça serait bientôt la grande récolte… Merde !…

À la Grosse Boule, les paysans ils changeaient brusquement d’allure, ils devenaient extrêmement drôles… Gomme ça entre deux bolées ils se dépêchaient de lire Paris-Courses… C’est des Pereires qui se démerdait… Il expédiait les petits paris… pas plus d’une thune pour chacun… dans une enveloppe à son vieux pote… jusqu’à cinquante francs maximum !… Il prenait pas davantage !… Mardi, Vendredi, Samedi… et toujours au bar des Émeutes en cheville toujours avec Naguère !… On gardait nous, cinq sous par mise !… C’était notre pécule mignon !… À la bonniche, la dure Agathe, je lui ai appris comment faut faire, pour éviter les enfants… Je lui ai montré que par-derrière, c’est encore plus violent… Du coup, je peux dire qu’elle m’adorait… Elle me proposait de faire tout pour moi… Je l’ai repassée un peu à Courtial, qu’il voye comme elle était dressée ! Elle a bien voulu… Elle serait entrée en maison, j’avais vraiment qu’un signe à faire… Pourtant c’est pas par la toilette que je l’ai envoûtée !… On aurait fait peur aux moineaux !… Ni par le flouze !… On lui filait jamais un liard !… C’était le prestige parisien ! Voilà.

Mais en rentrant le soir, par exemple, y avait de plus en plus la casse !… Elle était plus marrante l’Irène !… On rappliquait de plus en plus tard !… On avait droit aux forts excès !… Aux séances horribles !… Elle s’en arrachait les tifs au sang ! par touffes et par plaques ! à force qu’il ne se décidait pas pour choisir son « bon » légume… et son terrain maximum !… Elle s’y était mise la daronne, toute seule aux travaux des champs… Elle retournait la terre pas mal !… Elle savait pas encore faire un sillon absolument droit… mais y avait de l’application… Elle y parviendrait !… Elle débroussait joliment bien !… Et c’est pas l’espace qui manquait pour s’entraîner un peu partout… À Blême-le-Petit, on pouvait y aller carrément… tout le territoire c’était des friches… À droite, au Nord, au Sud, à gauche, y avait pas de voisins et à l’Ouest non plus !… C’était tout désert… desséché… parfaitement aride…

« Tu t’épuises, ma grosse toutoute ! qu’il l’interpellait Courtial, comme ça en pleine nuit, quand nous la retrouvions sur le tas encore en train d’en retourner… Tu t’épuises ! ça ne sert à rien !… Cette terre est des plus ingrates ! J’ai beau me tuer à te le dire !… Les paysans d’ici eux-mêmes, ils ont graduellement renoncé !… Je pense qu’ils se tourneront vers l’élevage !… Encore que l’élevage dans ces plaines !… Avec toutes ces marnes subjacentes !… ces failles calcico-potassiques !… Je ne les vois pas frais !… C’est une sévère entreprise !… avec des aléas énormes !… Des pépins abominables !… Je prévois !… Je prévois !… Irriguer un pétrin pareil ?… Ah ! là ! là !…

— Et toi, grande ordure ? dis donc ? qui c’est qui va t’irriguer ?… Dis-le-moi un peu ?… que je l’entende ?… Allons !… Vas-y ! Avance-toi ! » Il refusait de parler davantage… Il se précipitait vers la ferme… Moi j’avais encore un boulot. J’avais à classer, en rentrant chaque soir, tous nos prélèvements du jour… Sur des planches à part… tout autour de la cuisine… dans des petits cornets… Ils séchaient à la queue leu leu… tous les échantillons de terrain de vingt kilomètres à la ronde !… Ça faisait un riche matériel pour le jour où on choisirait !… mais sûrement que notre rayon le plus riche, c’était celui de Saligons.

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