Grand-mère, elle s’est bien méfiée de l’Exposition qu’on annonçait. L’autre, celle de 82, elle avait servi à rien qu’à contrarier le petit commerce, qu’à faire dépenser aux idiots leur argent de travers. De tant de tapage, de remuements et d’esbroufe, il était rien subsisté, que deux ou trois terrains vagues et des plâtras si dégueulasses, que vingt ans plus tard encore personne voulait les enlever… Sans compter deux épidémies que les Iroquois, des sauvages, des bleus, des jaunes et des marrons avaient apportées de chez eux.

La nouvelle Exposition ça serait sûrement encore bien pire. On aurait sûr du choléra. Grand-mère en était très certaine.

Déjà les clients, ils faisaient leurs économies, ils se préparaient de l’argent de poche, ils se défendaient par mille chichis, ils attendaient qu’on « inaugure » ! Une sale bande de vilains râleux. Les boucles d’oreilles à maman elles ne quittaient plus le Mont-de-Piété.

« Si c’était pour faire sortir les paysans de leur campagne, y avait qu’à leur offrir des bals au Trocadéro !… Il est assez grand pour tout le monde ! C’était pas la peine pour ça d’éventrer de fond en comble la ville et de boucher la Seine !… C’est pas une raison pour dilapider, parce qu’on s’amuse plus entre soi ! Mais non ! »

Voilà comment elle raisonnait Grand-mère Caroline. Aussitôt qu’elle était partie, mon père se creusait la cervelle, il se demandait ce qu’elle voulait dire avec des paroles si amères…

Il découvrait un sens profond… Des allusions personnelles… Des espèces de menaces… Il se mettait sur la défensive…

« Je vous défends de lui causer de mes affaires tout au moins !… L’Exposition ? Clémence, veux-tu que je te dise ? C’est un prétexte ! Ce qu’elle veut ta mère ? Tu veux le savoir ? Eh bien moi je l’ai senti tout de suite. Notre di-vor-ce !… Voilà !… »

Puis de loin, moi dans le coin, il me désignait, moi l’ingrat ! Le petit profiteur sournois… Le petit gavé des sacrifices… Moi… ma merde au cul… Mes furoncles… et mes chaussures insatiables… J’étais là !… Les conclusions me concernaient, moi, le bouc émissaire de tous les déboires…

« Ah ! Nom de Dieu ! De mille bons Dieux ! S’il existait pas celui-là ! Ah ! Tu dis ? La paire ! Pouah ! Ah ! Je peux t’assurer que ça serait fait depuis longtemps !… Bien longtemps ! Pas une heure ! Tu entends ! Tout de suite ! Merde alors ! Si y avait pas ce petit fumier ! Elle insisterait pas va ! Tu peux me croire ! Divorce ! Ah ! DIVORCE !… »

Il se ratatinait, crispé en secousses. Il faisait le diable, comme au cinéma, mais en plus, lui, il jurait…

« Ah ! sacré mille bordels du tonnerre ! La liberté ! Ah ! Abnégation ? Oui ! Renoncement ? Oui ! Privations ? Ah ! Ah ! Tout ! Encore ! Et toujours davantage pour ce merdeux dénaturé ! Ah ! Ah ! La liberté ! Liberté !… » Il disparaissait en coulisse. Il s’ébranlait la poitrine à grands coups mats, tout en montant.

Au seul mot « Divorce » ma mère entrait en convulsions…

« Mais je fais tout ce que je peux, Auguste ! Tu le sais bien quand même ! Je me mets en quatre ! Je me mets en dix, tu le vois bien ! Ça ira mieux ! Je te jure ! Je t’en supplie ! Un jour, nous serons heureux tous les trois !…

— Moi aussi, je fais ce que je peux ! Hi ! Ah ! qu’il lui répliquait d’en haut. Et c’est du propre !… »

Elle s’abandonnait au chagrin, c’était un déluge.

« On l’élèvera bien ! tu verras ! Je te jure Auguste ! T’énerve pas ! Il comprendra plus tard !… Il fera son possible aussi… il sera comme nous ! Il sera comme toi ! Tu verras ! Il sera comme nous !… Pas mon petit ?… »

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