La mode et la tradition, c’était qu’à partir de midi, on s’habille tous en sportifs, en requimpette d’uniforme rayée vert et jaune, la calotte ad hoc, tout ça orné d’écussons aux armoiries du collège… J’y tenais pas très spécialement à m’affubler en chienlit et puis ça devait être bien coûteux, une tenue pareille ?… Surtout les godasses à crampons… J’avais pas l’humeur aux joujoux… Je voyais pas de jeux dans mon avenir… C’était encore un genre foireux qu’était bien fait pour les petits caves…
Le vieux Merrywin lui-même, aussitôt après le déjeuner, il quittait sa demi-soutane, il passait le veston panaché, et froutt !… le voilà parti… Il devenait tout de suite tout guilleret, absolument méconnaissable… Il gambillait comme un cabri d’un bout à l’autre du terrain… Sous les averses et les rafales, il s’en ressentait comme personne… Il suffisait qu’il enfile son petit arlequin pour tressaillir d’effet magique. Il était cocasse, « vif-argent » !
Les Anglais, c’est drôle quand même comme dégaine, c’est mi-curé, mi-garçonnet… Ils sortent jamais de l’équivoque… Ils s’enculent plutôt… Ça le tracassait énormément qu’on m’achète à moi aussi une livrée complète, que je sois nippé à la fin en champion du « Meanwell College » ! Que je fasse plus tache dans les rangs, à la promenade, au football… Il m’a même montré une lettre qu’il écrivait à mon père au sujet de cette garniture… Peut-être qu’il toucherait une ristourne ? qu’il attendait sa petite « fleur » ? C’était suspect comme insistance… J’ai pas bronché devant la missive. En moi-même, j’avais du sourire… « Envoie toujours, mon petit dabe, tu connais pas les parents !… Ils sont pas sportifs pour un rond »… Sûrement qu’il se rendait pas compte !… Sûrement qu’il allait se faire étendre… Ils renarderaient au cotillon… Redouble !… Ça ferait du joli !…
Alors donc, après le déjeuner, y avait pas de bon Dieu, ni de bourrasques !… Il fallait qu’on s’y colle tout le monde… On escaladait, deux par deux, une autre colline, derrière la nôtre, absolument détrempée, torrentueuse, un chaos, des fondrières… Je fermais la marche du collège avec Mme Merrywin et l’idiot, entre nous deux… On emportait sa pelle, son seau, pour qu’il puisse faire des pâtés, des gros, des fondants, des pleins de boue, ça le retenait un peu tranquille… Y avait plus de parapluies possibles ni d’imperméables… Rien résistait aux tornades… Si y avait pas eu la gadouille qu’était plus épaisse que du plomb on serait partis chez les oiseaux…
J’avais la bonne place au football, je tenais les buts… ça me permettait de réfléchir… J’aimais pas, moi, qu’on me dérange, je laissais passer presque tout… Au coup de sifflet, les morveux ils s’élançaient dans la bagarre, ils labouraient toute la mouscaille à s’en retourner les arpions, ils chargeaient dans la baudruche, à toute foulée dans la glaise, ils s’emplâtraient, ils se refermaient les deux châsses, la tronche, avec toute la fange du terrain… Au moment de la fin de la séance, c’était plus nos garçonnets, que des vrais moulages d’ordure, des argiles dégoulinantes… et puis les touffes de colombins qui pendaient encore après. Plus qu’ils étaient devenus bouseux, hermétiques, capitonnés par la merde, plus qu’ils étaient heureux, contents… Ils déliraient de bonheur à travers leurs croûtes de glace, la crêpe entièrement soudée.
Le seul ennui dont on souffrait, c’était le manque de compétiteurs… Les équipes rivales étaient rares, surtout à proximité. La seule à vrai dire pour nous affronter, régulièrement, tous les jeudis, c’était celle des mômes d’en face… de la « Pitwitt Academy », de l’autre côté du pont à Stroude, un groupe de piteux boutonneux, des enfants abandonnés, un Institut charitable… Ceux-là, ils étaient devenus d’une extrême maigreur, encore bien plus légers que les nôtres… Ils pesaient rien à vrai dire, au premier coup, une fois chargés avec violence, au vent portant, ils s’envolaient, ils partaient avec le ballon… Il fallait surtout les maintenir, les aplatir… On leur mettait douze buts à quatre… C’était régulier. C’était comme ça l’habitude… Si y avait un peu de rouscaille, qu’on entendait des murmures, ça n’hésitait pas une seconde, ils prenaient une terrible dérouille, une pâtée complète… C’était entendu comme ça. S’ils shootaient seulement un petit point de plus que c’était l’usage, alors nos mômes devenaient féroces… Ils râlaient qu’ils étaient trahis… déjà, ils flairaient les coupables… Ils passaient à la corrida… ça se rejugeait en rentrant le soir… après la prière quand le vieux avait refermé la porte… Ça chiait alors cinq minutes… Jonkind qu’était responsable… C’est toujours lui par ses conneries qu’amenait les pénalités… Il recevait la décoction… C’était mémorable… On soulevait sa grille d’un coup, il était vidé de son page… D’abord, on l’étendait comme un crabe, à même le plancher, ils se mettaient dix pour le fouetter, à coups de ceintures vaches… même avec les boucles… Quand il gueulait un peu trop fort on l’amarrait sous une paillasse, tout le monde alors piétinait, passait, trépignait par-dessus… Ensuite, c’était sa branlée, à bloc, à blanc… pour lui apprendre les bonnes façons… jusqu’à ce qu’il puisse plus juter… plus une seule goutte…
Le lendemain, il pouvait plus tenir debout… Mme Merrywin, elle était bien intriguée, elle comprenait plus son morveux… Il répétait plus No trouble… Il s’écroulait à table, en classe… trois jours encore tout gâteux… Mais il restait incorrigible, il aurait fallu le ligoter pour qu’il se tienne peinard… Fallait pas qu’il s’approche des buts… Dès qu’il voyait le ballon rentrer, il se connaissait plus, il se précipitait dans les goals, emporté par sa folie, il bondissait sur la baudruche, il l’arrachait au gardien… Avant qu’on ait pu le retenir il était sauvé avec… Il était vraiment possédé dans ces moments-là… Il courait plus vite que tout le monde… Hurray ! Hurray ! Hurray !… qu’il arrêtait pas de gueuler, comme ça jusqu’en bas de la colline, c’était coton pour le rejoindre, il dévalait jusqu’à la ville. Souvent on le rattrapait dans les boutiques… Il shootait dans les vitrines. Il crevait les écriteaux… Il avait le démon du sport. Il fallait se méfier de ses lubies.