Peut-être deux, trois jours plus tard, on a demandé Courtial au commissariat… Un flic est venu tout exprès… Ça arrivait assez souvent… C’était un peu ennuyeux… Mais ça s’arrangeait toujours… Je le brossais avec grand soin pour la circonstance… Il retournait un peu ses manchettes… Il partait se justifier… Il restait longtemps dehors… Il revenait toujours ravi… Il les avait confondus… Il connaissait tous les textes… tous les moindres alibis, toutes les goupilles de la poursuite… Seulement pour cette rigolade-ci… y avait du sérieux tirage !… C’était pas du tout dans la fouille !… Nos affreux gniards du « Perpétuel » ils emmerdaient les commissaires… celui de la rue des Francs-Bourgeois, il recevait des douze plaintes par jour !… et celui de la rue de Choiseul il était lui à bout de patience… absolument excédé !… Il menaçait de faire une descente… Depuis janvier, c’était plus le même… l’ancien qu’était si arrangeant il avait permuté pour Lyon… Le nouveau c’était un fumier. Il avait prévenu le Courtial que si nous recommencions des manigances de « Concours », il lui foutrait un de ces mandats qui ne serait pas dans une musette !… Il voulait se faire remarquer par le zèle et la vigilance… Il arrivait d’un bled au diable !… Il était plein de sang !… Ah ! c’est pas lui qui déchait pour notre imprimeur, le terme et la casse ! Il pensait qu’à nous ahurir !… On n’avait même plus le téléphone. On nous l’avait supprimé, il fallait que je saute à la poste… Il était coupé depuis trois mois… Les inventeurs qui réclamaient, ils venaient forcément en personne… Nos lettres on les lisait plus… On en recevait beaucoup de trop !… On était devenus trop nerveux avec ces menaces judiciaires… Question d’ouvrir notre courrier, on prélevait seulement les fafiots… Pour le reste on laissait courir… C’était sauve qui peut !… ça se déclenche vite une panique !…
Courtial il avait beau prétendre… Le commissaire du « Choiseul » il y avait coupé l’appétit, c’était un vrai ultimatum !… Il était revenu blafard…
« Jamais ! tu m’entends, Ferdinand ! Jamais !… Depuis trente-cinq années que je labeure dans les sciences !… que je me crucifie ! c’est le mot… pour instruire… élever des masses… Jamais on m’a traité encore comme ce salaud-là !… Ça dépasse toute indignation ! Oui ! Ce blanc-bec !… Ce mince paltoquet !… Pour qui me prend-il, ce lascar ?… Pour un collignon dévoyé ?… Pour un marchand de contre marques ? Quel arsouille ! Quelle impudeur ! Une « descente » ! Comme au bobinard ! Une « descente », il n’a plus que ça dans la gueule ! Mais qu’il y vienne donc, ce crétin ! Que trouvera-t-il ? Ah ! on voit bien qu’il est nouveau ! Qu’il est puceau dans la région ! Un provincial ! Je te le dis ! Un terreux, sans aucun doute ! Il fait du zèle, ce pitoyable ! L’imagination ! Il se tient plus ! l’imagination ! Ah ! ça lui coûtera plus cher qu’à moi… Ah ! oui ! Nom de Dieu !… Celui de la rue d’Aboukir ! Il a voulu y venir aussi ! Il l’a voulue sa descente ! Il est venu ! Il a regardé ! Ils ont retourné toute la cambuse ! Ces cales dégueulasses dégoûtants… Ils ont tout foutu en l’air et ils sont repartis… Veni ! Vidi ! Vici ! Une bande de sales cons miteux ! C’était il y a deux ans passés. Ah ! je m’en souviens ! Et que trouva-t-il ce Vidocq à l’oseille… De la paperasse et du plâtre… Il était couvert de gravats, mon ami ! Piteux cloporte ! Pitoyable !… Ils avaient creusé partout ! Ils avaient pas compris un mot… l’infime cafard !… Ah ! Les enfoirés !… Malheureux béotiens crotteux !… Ânes légaux… Ânes du purin, moi que je dis !… »
Il me montrait en l’air, jusqu’au cintre, les piles et les piles… les entassements prodigieux… Les véritables glacis, les promontoires menaçants ! Branleurs !… Ça serait bien rare en effet si l’épouvante le prenait pas le commissaire de « Choiseul » devant ces montagnes !… ces avalanches en suspens…
« Une descente ! Une descente ! Écoute-moi comme ça cause ! Pauvre petit ! Pauvre gamin ! Pauvre larve !… »
Il avait beau installer, ces menaces le troublaient quand même… Il était bien déconfit !… Il y est retourné le lendemain exprès pour le revoir ce jeunot… Pour essayer de le convaincre qu’il s’était gouré sur son compte… Et de fond en comble ! Absolument !… Qu’on l’avait noirci à plaisir !… C’était une question d’amour-propre… Ça le rongeait à l’intérieur l’engueulade de ce greluchon… Il touchait même plus aux haltères… Il restait troublé… Il marmonnait sur sa chaise… Il me causait plus que de cette descente… Il négligeait même pour une fois mon instruction scientifique !… Il voulait plus recevoir personne ! Il disait que c’était plus la peine ! J’accrochais en permanence le petit écriteau « Réunion du Comité ».
C’est à peu près à ce moment-là, quand on parlait de « perquisitions », qu’il a encore recommencé à me faire des remarques sur son avenir… Sur son surmenage… Qu’il en souffrait de plus en plus…
« Ah ! qu’il me disait Ferdinand ! comme il cherchait des dossiers pour les porter au petit “ Quart ”… Tu vois ce qu’il me faudrait !… Encore une journée de perdue ! Salie ! gâchée ! pervertie absolument ! anéantie en cafouillages !… En crétines angoisses !… C’est que je puisse me recueillir !… Véritablement… Enfin ! que je puisse m’abstraire !… tu comprends ?… La vie extérieure me ligote !… Elle me grignote ! Me dissémine !… M’éparpille !… Mes grands desseins demeurent imprécis, Ferdinand ! J’hésite !… Voilà ! Imprécis ! J’hésite… C’est atroce ! Tu ne me comprends pas ? Calamité sans pareille ! On dirait une ascension, Ferdinand !… Je m’élève !… Je parcours un bout d’infini ! Je vais franchir !… Je traverse déjà quelques nuages… Je vais voir enfin… Encore des nuages !… La foudre m’étonne !… Toujours des nuages… Je m’effraye !… Je ne vois rien !… Non, Ferdinand !… Je ne vois rien ! J’ai beau prétendre… Je suis distrait, Ferdinand !… Je suis distrait ! » Il trifouillait dans son bouc… Il se rebiffait la moustache !… Il avait la main toute vibrante… On n’ouvrait plus à personne ! Même aux maniaques du « Perpétuel »… À force de venir buter, ils ont abandonné l’espoir !… Ils nous foutaient un peu la paix… On n’a pas eu de perquisition… Ils ont pas entamé de poursuites… Mais il y avait eu la chaude alerte…
Il se méfiait de tout à présent Courtial des Pereires de son bureau tunisien ! De son ombre propre ! C’était encore trop exposé son entresol personnel, trop facilement accessible !… Ils pouvaient venir à l’improviste lui sauter sur le paletot… Il voulait plus rien risquer !… À la seule vue d’un client, sa figure passait à la cire !… Il en chancelait presque ! Il était vraiment affecté par le dernier trafalgar !… Il préférait de beaucoup sa cave… Il y restait de plus en plus !… Là il était un peu tranquille !… Il méditait à son aise !… Il s’y planquait des semaines entières… Moi je faisais le courant du journal… C’était une chose de routine ! Je prélevais des pages dans ses manuels… Je découpais avec soin. Je rafraîchissais des endroits… Je refaisais un peu les titres… Avec les ciseaux, la gomme et la colle, je me débrouillais bien. Je laissais en blanc beaucoup d’espace pour donner des « lettres d’abonnés »… Les reproductions c’est-à-dire… Je faisais sauter les engueulades… Je conservais que les enthousiasmes… Je dressais une liste des souscripteurs… J’atigeais bien la cabane… Quatre queues au bout des zéros !… J’insérais des photographies. Celle de Courtial en uniforme, en poitrine avec les médailles… une autre, du grand Flammarion, cueillant des roses dans son jardin… Ça faisait contraste, ça faisait plaisant… Si des inventeurs s’aboulaient… qui revenaient encore s’informer, me dérangeaient dans ma tâche… j’avais trouvé une autre excuse…
« Il est avec le Ministre ! que je répondais raide comme balle. On est venu le chercher hier soir… C’est sûrement pour une expertise… » Ils y croyaient pas tout à fait… mais ils restaient quand même rêveurs. Le temps que je me tire dans le gymnase… « Je vais voir s’il est pas rentré !… »
Ils me revoyaient plus.