On y est parvenus tant bien que mal aux vacances de Pâques… Y avait un tirage terrible… sur le fricot… sur les bougies… sur le chauffage… Pendant les dernières semaines, les mômes, les cinq qui restaient, ils écoutaient plus personne… Ils se conduisaient à leur guise… Le vieux, il faisait même plus la classe… Il restait chez lui tout à fait… ou bien, il partait tout seul, sur son tricycle… en longues excursions…
La nouvelle bonne est arrivée… Elle a pas tenu seulement huit jours… Les mômes étaient plus possibles, ils devenaient intolérables, ils chamboulaient toute la cuisine… Une femme de ménage a remplacé la bonniche, mais seulement pour les matinées. Nora l’aidait à faire les chambres, et puis aussi la vaisselle… Pour ça elle mettait des gants… Elle se protégeait ses beaux cheveux avec un mouchoir brodé, elle s’en faisait comme un turban…
L’après-midi, je promenais l’idiot, je m’en chargeais tout seul. Elle pouvait plus venir Nora, elle avait la cuisine à faire… Elle nous disait pas où aller… C’était moi seul qui commandais… On prenait le temps qu’il fallait… On est repassés par toutes les rues, par tous les quais, tous les trottoirs. Je regardais un peu partout pour la môme Graillon, j’aurais voulu la rencontrer. Elle y était plus en ville, nulle part, avec sa bagnole… Ni sur le port, ni au marché… ni autour des nouvelles casernes… Bien…
Y avait des heures douces en promenade. Jonkind il était plutôt sage… Seulement fallait pas l’exciter… Il était plus tenable par exemple dès qu’on croisait les militaires, les fanfares, les fortes musiques… Y en avait des quantités autour de Chatham… et de la « flotte » aussi… Quand ils revenaient de l’exercice, ils soufflaient des airs cascadeurs, des conquérants rigodons. Jonkind, ça lui retournait les moelles… Il fonçait dans le tas comme un dard… Il pouvait pas supporter… Ça lui faisait l’effet du football… Il s’emportait dans les flonflons !
C’est vivace un régiment, comme couleur et comme cadence, ça se détache bien sur le climat… Ils étaient grenats les « musiques »… Ils ressortaient en pleine violence dans le ciel… sur les murs cachou… Ils jouent gonflé, cambré, musclé, ils jouent costaud les Écossais… Ils jouent marrant la cornemuse, ils jouent gaillard, ils jouent poilu comme des molletons…
On les suivait jusqu’aux « barracks », leurs tentes en plein champ… On découvrait d’autres campagnes, toujours derrière les soldats… après Stroude plus loin encore… de l’autre côté d’une autre rivière. On revenait toujours par l’école, celle des filles, derrière la gare, on attendait leur sortie… On disait rien, on reluquait, on prenait des grands coups de visions… On redescendait par « l’Arsenal », le terrain spécial en « mâchefer », celui des « pros », les vrais « durs », ceux qui s’entraînent à la cadence, sur buts « rétriqués », pour la coupe Nelson. Ils crevaient toutes les baudruches, tellement qu’ils shootaient en force…
On rentrait nous le plus tard possible… J’attendais qu’il fasse vraiment nuit, que je voye toutes les rues allumées, alors je suivais la High Street, celle qui finissait devant nos marches… C’était souvent après huit heures… Le vieux nous attendait dans le couloir, il se permettait pas de réflexions, il était à lire son journal…
Aussitôt qu’on arrivait, on passait à table… C’est Nora qui faisait le service… Il causait plus Merrywin… Il disait plus rien à personne… ça devenait la vraie vie tranquille… Jonkind aussitôt la soupe, il se remettait à baver. On le laissait faire à présent. On l’essuyait plus qu’à la fin.