L’après-midi un autre griffeton est arrivé en bicyclette… Il venait tout exprès de Persant… Il a redit au brigadier qu’il fallait nous qu’on touche à rien… Que c’est le Parquet qu’allait venir… que c’était pas le Commissaire… Que c’était les ordres mêmes du Juge d’instruction… Il nous a commandé aussi qu’on prépare les affaires des mômes, qu’ils partiraient tous le lendemain à la première heure… Qu’on les attendait à Versailles dans un Refuge de l’Assistance « La Préservation Juvénile »… Ça aussi c’était dans les ordres !… Il devait pas en rester un seul après dix heures du matin !… Deux personnes spéciales devaient venir exprès de Beauvais pour nous les emmener… les accompagner à la gare…

On a répété les ordres aux moujingues qu’étaient dans la cour, fallait bien qu’on les prévienne… que c’était fini notre poloche… que c’était des choses révolues !… Ils saisissaient pas encore net… Ils se demandaient ce qu’ils allaient faire ?… Où ça qu’on allait les emmener ?… Si c’était pas seulement une blague ?… J’ai essayé de leur faire comprendre qu’elle était finie la musique !… que notre rouleau tournait plus !… Ils entravaient pas du tout !… Que le Juge avait ordonné qu’on liquide toute la boutique ! Qu’on renvoye séance tenante toute la « Race Nouvelle » chez elle ! Qu’ils allaient saquer en même temps toute notre culture des « effluves » !… qu’ils en voulaient plus de notre bastringue !… Qu’ils étaient tous des vrais féroces !… Impitoyables ! Résolus ! Que c’était fini n-i ni !… Qu’on allait rechercher leurs dabes !… Qu’il fallait ce coup-là qu’on les retrouve !…

Tout ça c’était du chinois… Ils avaient perdu l’habitude d’être traités en mômes… Ils étaient trop émancipés !… ils se rendaient plus compte des choses de l’obéissance !… C’était pas très compliqué pour réunir leur saint-frusquin !… ils avaient en somme que leurs os… et leurs petits frocs dessus !… en fait de garniture… Ils avaient quelques grolles de « fauche » qu’étaient jamais la pointure. Ils en mettaient souvent qu’une… Ils bagottaient plutôt pieds nus !… Eh bien ils ont trouvé quand même moyen d’embarquer tout un bric-à-brac… des myriades de clous, des crochets, trébuchets, frondes, des cordelettes, des pièges à glu… des jeux de râpes entiers, des cisailles et tous les ressorts à boudins et encore des lames de rasoirs emmanchées sur des longs bâtons… deux pinces complètes « Monseigneur »… Y avait que le Dudule qu’avait rien… Il travaillait avec ses doigts… Ils croyaient les gniards qu’où on les emmenait tout ça pourrait encore resservir… Ils se rendaient pas compte !… J’avais pourtant bien insisté… Ils prenaient rien au tragique… Ils avaient pourtant bien vu le vieux avec sa gueule en débris ! Et la vieille ils l’entendaient bien à travers la porte… comment qu’elle râlait… Mais ça les effrayait plus…

« Moi, tiens ! qu’il me faisait Dudule, je te jure qu’on sera revenu jeudi !…

— Tu les connais pas mon fiote ! que j’y répliquais… Surtout faites pas vos petits durs !… Ils vous boucleraient pour la vie !… Ils ont des cabanes terribles !… Gafez-vous ! rentrez vos marioles !… Fermez bien vos trappes à tous… » Même la Mésange elle crânouillait : « Ferdinand ! Penses-tu ! Balle-Peau ! C’est pour qu’on voye pas l’enterrement qu’ils nous font trisser !… Tout ça c’est du mou !… On reviendra sûrement pour dimanche !… Quand ça sera fini !… » Moi je voulais bien… Toute la petite fourgue ils l’ont paquetée… Y a eu encore discussion à propos de partage… Ils voulaient tous de « l’élastique »… du gros épais… Ils étaient des as pour les piafs !… Ils ont emmené du laiton, presque deux rouleaux… Et qui pesaient lourd !… Mais il en restait Nom de Dieu ! Tout un coffre dans le hangar !…

Les deux dames accompagnatrices, elles sont arrivées plus tôt qu’on pensait… Un peu des genres de « bonnes sœurs ». Pas de cornettes, mais des robes grises bien montantes, exactement toutes deux semblables, et puis des mitaines… et des drôles de voix trop douces et bien insistantes… Il faisait pas encore nuit…

« Alors voilà mes chers enfants… Il va falloir se presser un peu… qu’elle a dit comme ça la plus mince… J’espère que vous serez bien sages !… Nous allons faire un beau voyage… » Elles les ont rangés deux par deux… Mais Dudule tout seul en avant… C’était bien pour la première fois qu’ils se mettaient en ordre… Elles ont demandé à tous leurs noms…

« Maintenant il faudra plus causer !… Vous êtes des petits enfants très sages !… Comment t’appelles-tu toi mignonne ?…

— Mésange-Petite-Peau !… » qu’elle a répondu. C’était bien exact d’ailleurs que les autres l’appelaient ainsi. Ils étaient encore neuf en tout… Cinq garçons, quatre filles. Le Dudule nous laissait son clebs… Ils en voulaient pas à Versailles… Ils ont rompu un coup les rangs… Ils oubliaient la daronne !… Elle était toujours dans sa grange… Ils y ont été vite l’embrasser… Y a eu forcément un peu de larmes… C’était tout de même pas très marrant comme séparation… vu les circonstances… C’est la Mésange qu’a pleuré le plus…

« Au revoir Ferdinand !… Au revoir Ferdinand ! À bientôt !… » qu’ils me criaient encore de l’autre bout de la cour… les dames elles rassemblaient leur troupe…

« Voyons, mes enfants ! Voyons !… Allons mes petites filles… » Ils me lançaient les derniers appels tout au bout du chemin… « À bientôt pote !… à bientôt !… »

Merde ! Merde ! Moi je me rendais compte… L’âge ça c’est le plein tour de vache… Les enfants, c’est comme les années, on les revoit jamais. Le chien à Dudule on l’a refermé avec la vioque. Ils pleuraient ensemble tous les deux. C’est lui qui gémissait le plus fort. Ce jour-là c’est vrai, je peux bien le dire c’est un des plus moches de ma vie. Merde !

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