C’est les épiciers de la rue Berce qu’ont les premiers fait du scandale… Ils voulaient plus rien chiquer pour nous avancer de la boustiffe… Ils venaient rapporter leurs factures… On les entendait nous, monter… On répondait pas…
Ils redescendaient chez la bignolle… Ils poussaient des clameurs affreuses… La vie devenait insupportable. Du coup, Antoine et la patronne, ils sortaient à chaque instant, ils allaient briffer au-dehors, ils plantaient des vaches drapeaux dans toutes les gargotes du quartier… Je racontais pas tout ça chez nous… Ça me serait retombé sur la pomme… Ils auraient imaginé que c’est moi qui faisais les conneries !
Le principal c’était l’écrin !… le « Çâkya-Mouni » tout en or… celui-là je le laissais pas courir, il allait pas souvent dans le monde ! Je le gardais très pieusement planqué dans le fond de ma fouille, et fermé encore au surplus avec les trois épingles « nourrice ». Je le montrais plus à personne, j’avais plus confiance… J’attendais le retour du patron.
À l’atelier, avec Robert, on s’en faisait pas une seconde… Antoine, il bossait presque plus. Quand il s’était bien amusé avec la rombière, ils revenaient blaguer avec nous. On chambardait tout l’atelier. Entre-temps, ils en écrasaient l’après-midi pendant des heures… C’était la famille « tuyau de poêle ! »…
Seulement, un soir le drame advint ! On n’avait pas mis nos verrous… C’était le moment du dîner… Y avait sur tous les paliers beaucoup de va-et-vient… Voilà un de nos furieux bistrots, le plus méchant de tous c’est-à-dire, qui grimpe là-haut, quatre à quatre !… On se rend compte beaucoup trop tard ! Il pousse la porte, il entre… Il les trouve tous les deux pieutés ! Antoine et la grosse !… Alors, il râlait pire qu’un phoque !… Il en avait le sang dans les yeux… Il voulait dérouiller Antoine et séance tenante ! Il brandissait son gros marteau… Je croyais qu’il allait l’emboutir…
C’est vrai, qu’on lui devait des tas… Au moins vingt-cinq litres… du blanc… du rosé… de la fine et même du vinaigre… C’est tourné en vraie bataille… Il a fallu qu’on se mette à huit pour en venir à bout du gorille… On a rappelé tous les copains… Antoine a pavoisé dur. Il a pris deux cocards énormes… un bleu et un jaune…
D’en bas, dans la cour, il continuait à nous menacer. Il nous traitait, ce délirant, de tous les noms : Fripons !… Ordures !… Enculés !…
« Attendez minute, feignasses ! Vous en aurez de mes nouvelles !… Et ça traînera pas, saloperies !… Attendez un peu le commissaire ! »
Ça commençait à sentir mal !…