Ce fut vraiment impossible de dissimuler très longtemps une telle invasion de vermine… Le champ grouillait, même en surface… La pourriture s’étendait encore… on avait beau émonder, extirper, sarcler, toujours davantage… ça n’y faisait rien du tout… Ça a fini par se savoir dans toute la région… Les péquenots sont revenus fouiner… Ils déterraient nos pommes de terre pour se rendre mieux compte !… Ils ont fait porter au Préfet des échantillons de nos cultures !… avec un rapport des gendarmes sur nos agissements bizarres !… Et même des bourriches entières qu’ils ont expédiées, absolument farcies de larves, jusqu’à Paris, au Directeur du Muséum !… Ça devenait le grand événement !… D’après les horribles rumeurs, c’est nous qu’étions les fautifs, les originaux créateurs d’une pestilence agricole !… entièrement nouvelle… d’un inouï fléau maraîcher !…

Par l’effet des ondes intensives, par nos « inductions » maléfiques, par l’agencement infernal des mille réseaux en laiton nous avions corrompu la terre !… provoqué le Génie des larves !… en pleine nature innocente !… Nous venions là de faire naître, à Blême-le-Petit, une race tout à fait spéciale d’asticots entièrement vicieux, effroyablement corrosifs, qui s’attaquaient à toutes les semences, à n’importe quelle plante ou racine !… aux arbres même ! aux récoltes ! aux chaumières ! À la structure des sillons ! À tous les produits laitiers !… n’épargnaient absolument rien !… Corrompant, suçant, dissolvant… Croûtant même le soc des charrues !… Résorbant, digérant la pierre, le silex, aussi bien que le haricot ! Tout sur son passage ! En surface, en profondeur !… Le cadavre ou la pomme de terre !… Tout absolument !… Et prospérant, notons-le, au cœur de l’hiver !… Se fortifiant des froids intenses !… Se propageant à foison, par lourdes myriades !… de plus en plus inassouvibles !… à travers monts ! plaines ! et vallées !… et à la vitesse électrique !… grâce aux effluves de nos machines !… Bientôt tout l’arrondissement ne serait plus autour de Blême qu’un énorme champ tout pourri !… Une tourbe abjecte !… Un vaste cloaque d’asticots !… Un séisme en larves grouilleuses !… Après ça serait le tour de Persant !… et puis celui de Saligons !… C’était ça les perspectives !… On pouvait pas encore prédire où et quand ça finirait !… Si jamais on aurait le moyen de circonscrire la catastrophe !… Il fallait d’abord qu’on attende le résultat des analyses !… Ça pouvait très bien se propager à toutes les racines de la France… Bouffer complètement la campagne !… Qu’il reste plus rien que des cailloux sur tout le territoire !… Que nos asticots rendent l’Europe absolument incultivable… Plus qu’un désert de pourriture !… Alors du coup, c’est le cas de le dire, on parlerait de notre grand fléau de Blême-le-Petit… très loin à travers les âges… comme on parle de ceux de la Bible encore aujourd’hui…

C’était plus du tout une simple rigolade… Courtial en a fait la remarque au facteur quand il a passé… C’était bien la moindre des choses qu’il dégueule un peu de venin l’Eusèbe « sans vélo »… « C’est ma foi Nom de Dieu possible ! » qu’il a répondu… Il a rien ajouté. Il devenait d’ailleurs cette peau de crabe, de plus en plus détestable. On avait plus une goutte à boire… rien à lui offrir… Il faisait affreux tout à fait… Quatorze kilomètres sans sucer !… Du coup, il devait nous jeter des sorts !… Il se tapait la route de Persant jusques à trois fois par jour ! Spécialement pour notre courrier !… On nous écrivait de partout, c’était pas notre faute !…

Elle en avait décuplé notre correspondance !… Des gens qui voulaient tout connaître… qui voulaient venir interviewer !… Et puis de nombreux anonymes qui nous régalaient pour leurs timbres !… Des tombereaux d’insultes !…

« Ça va ! ça va ! l’esprit fermente !… Regarde-moi toutes ces belles missives ! Et cent mille fois plus vermineuses que tout le sol de la planète !… Et pourtant tu sais y en a ! C’est bourré ! c’est plein ! La charogne veux-tu que je te dise ? Hein ? moi je vais te le dire… c’est tout ce qu’il faut supporter !… »

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