Le lendemain, j’étais de bonne heure rue Elzévir, pour monter prendre ma collection.

M. Gorloge à la façon qu’il se prélassait, à la manière que je l’ai surpris, j’ai cru qu’il m’avait oublié… Il était là devant sa fenêtre, tout ouverte, à contempler le dessus des toits… Il tenait entre ses genoux un grand bol de café-crème… Il en foutait pas une ramée c’était évident. Ça l’amusait la perspective… les milliers de cours du petit Marais… Ça lui donnait le regard vague… Il s’égarait comme dans un songe… Ça peut fasciner, faut se rendre compte. La belle dentelle des ardoises… Tous les reflets que ça prend… Les couleurs qui s’enchevêtrent. Tout le tortillage des gouttières. Et puis les piafs qui sautillent… Toutes les fumées qui tourniquent au-dessus des grands abîmes d’ombre…

Il me faisait signe de la boucler, d’écouter aussi les choses… De regarder ce décor, il aimait pas qu’on le dérange. Il devait me trouver un peu brute. Il faisait la moue.

Du haut en bas, c’était guignol autour de la cour, sur toute la hauteur des croisées… les trombines qui giclent aux aguets… des pâles, des chauves, des escogriffes… Ça piaille, ça ramène, ça siffle… Voilà d’autres clameurs en plus… Un arrosoir qui bascule, bondit, carambole jusqu’aux gros pavés… Le géranium qui dérape… Il fait bombe en plein sur la loge. Il éclate en miettes. La bignolle jaillit de sa caverne… Elle gueule à travers l’espace. Au meurtre ! Aux vaches assassins !… C’est la crise dans toute la tôle… tous les pilons viennent aux lucarnes… On s’incendie… On se glaviote… On se provoque au-dessus du vide… Tout le monde vocifère… On comprend plus qui a raison.

M. Gorloge se pend à la fenêtre… Il veut pas en perdre une miette… C’est un spectacle qui le passionne… Quand ça se calme, il est désolé… Il pousse un soupir… un autre… Il retourne à ses tartines… Il se reverse encore un autre bol… Il m’en offre aussi du café…

« Ferdinand, qu’il finit par dire au bout d’un moment, il faut que je vous répète encore, que ça sera pas une sinécure de travailler dans mes articles !… J’ai déjà eu dix représentants… C’étaient des garçons très convenables ! Et bien courageux !… Vous êtes en fait le douzième, parce que moi aussi voyez-vous j’ai essayé d’en placer… Enfin !… Revenez donc demain !… Aujourd’hui je me sens pas en forme… Ah ! puis, tenez non ! Restez encore un petit peu !… M. Antoine va arriver… Vaudrait peut-être mieux que je vous présente ?… Ah ! puis tenez partez tout de même !… Je lui dirai que je vous ai embauché !… Ça sera pour lui une vraie surprise !… Il les aime pas les représentants ! C’est mon premier ouvrier… Mon chef d’atelier par le fait !… C’est un caractère difficile ! Ah ! ça c’est exact ! Vous verrez tout de suite ! Il me rend bien des services ! Ah ! il faut convenir !… Je vous ferai connaître aussi le petit Robert notre apprenti… Il est bien gentil ! Vous vous entendrez je suis sûr ! Il vous donnera la collection… Elle est dans le bas placard… Un ensemble unique… vous vous rendez compte… Ça pèse assez lourd par exemple… Dans les quatorze, quinze kilos… Rien que des modèles !… Du cuivre, du plomb… Les premières pièces datent de mon père !… Il en avait lui des belles choses ! Uniques ! Uniques ! J’ai vu chez lui le Trocadéro !… Entièrement ciselé à la main ! monté en diadème ! Vous vous rendez compte ? Il a été mis deux fois… J’ai encore la photographie. Je vous la donnerai un jour… »

Il en avait marre Gorloge de me fournir des explications… son dégoût le reprenait… Il a fait encore un effort… Il a mis ses pompes sur la table… Il a soupiré un grand coup… Il portait des chaussons brodés, je les revois encore… des petits chats qui couraient autour…

« Eh bien, allez ! Ferdinand !… Donnez bien le bonjour à votre mère… De ma part !… En passant devant ma concierge, dites-lui donc qu’elle téléphone de chez le bougnat au 26… Qu’elle demande pour moi l’ “ hôtel des Trois Amiraux ”… Voir si Antoine est pas malade… C’est un garçon lunatique… Si il lui est rien arrivé ?… Voilà deux jours qu’il ne revient pas… Elle me criera ça dans la cour… Dites-lui qu’elle cherche dans l’Annuaire… L’hôtel des Trois Amiraux !… Dites-lui qu’elle me fasse monter du lait… La patronne est pas très bien !… Dites-lui qu’elle me fasse monter le journal !… N’importe lequel !… Plutôt Les Sports ! »

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