Je les connaissais moi, mes parents, le coup du complet bariolé, il pouvait pas coller du tout, je m’en gourais d’avance… Ils ont répondu, en retard, ils en revenaient pas encore, ils en poussaient les hauts cris, ils croyaient que je me foutais d’eux, que je me servais d’un subterfuge pour maquiller des folles dépenses… Ils en profitaient pour conclure que si je perdais mes journées à taper dans un ballon c’était plus du tout surprenant que j’apprenne pas un sou de grammaire… C’était leur dernier avis !… Le sursis final !… Que je m’entête pas sur l’accent… Que je retienne n’importe lequel !… pourvu qu’on arrive à me comprendre c’était amplement suffisant… On a encore lu la lettre avec Nora et son dabe… Elle restait ouverte sur la table… Certains passages ils pigeaient pas. Ça leur semblait tout obscur, tout extraordinaire… J’ai rien expliqué… Ça faisait quatre mois que j’étais là, c’était pas à cause d’un veston que je me lancerais dans les fadaises… Et pourtant ça les tracassait… Même Nora elle semblait soucieuse… que je veuille pas me revêtir en sport, avec la roupane uniforme et la gâpette panachée… Sans doute pour promener en ville, c’était la réclame du « Meanwell » surtout moi qu’étais le plus grand, le plus dégingandé de l’ensemble… ma démise sur le terrain, elle faisait honte au collège. Enfin, à force qu’ils se lamentaient… j’ai molli un peu… j’ai bien voulu d’un compromis, essayer un rafistolage… un que Nora avait constitué, dans deux vieilles pelures à son daron… Un arrangement composite… j’étais mimi ainsi sapé… j’étais encore bien plus grotesque, j’avais plus de forme, ni de milieu, mais ça m’évitait les soupirs… Dans la même inspiration j’ai hérité d’une casquette, une bicolore armoriée, une minuscule calotte d’orange… Sur ma bouille énorme, elle faisait curieux… Mais tout ça leur semblait utile au prestige de la maison… L’honneur fut ainsi rétabli… On me promena délibérément, on avait plus besoin d’excuses…
Pourvu qu’on parte en vadrouille et qu’on me force pas aux confidences… Je trouvais que c’était l’essentiel, que ça pouvait pas aller mieux… Je me serais même fendu d’un haut-de-forme s’ils avaient seulement insisté… pour leur faire un grand plaisir… Ils s’en posaient un eux le dimanche pour aller pousser des cantiques à leur messe protestante… Ça marchait à la claquette : Assis ! Debout ! dans leur temple… Ils me demandaient pas mon avis… ils m’emmenaient aux deux services… ils avaient peur que je m’ennuie seul à la maison… Là encore, entre les chaises il fallait surveiller Jonkind, c’était un moment à passer… Entre tous les deux Nora, il se tenait assez peinard.
Dans l’église, Nora elle me faisait l’effet d’être encore plus belle que dehors, moi je trouvais du moins. Avec les orgues, et les demi-teintes des vitraux, je m’éblouissais dans son profil… Je la regarde encore à présent… Y a bien des années pourtant, je la revois comme je veux. Aux épaules, le corsage en soie il fait des lignes, des détours, des réussites de la viande, qui sont des images atroces, des douceurs qui vous écrabouillent… Oui, je m’en serais pâmé dans les délices, pendant qu’ils gueulaient, nos lardons, les psaumes à Saül…
L’après-midi du dimanche, ça repiquait à la maison le coup du cantique, j’étais à genoux à côté d’elle… Le vieux, il faisait une longue lecture, je me retenais le panais à deux mains, je me l’agrippais au fond de la poche. Le soir l’envie était suprême à la fin des méditations… Le petit môme qui venait me dévorer, il était fadé le dimanche soir, il était nourri… Ça me suffisait pas quand même, c’est elle que j’aurais voulue, c’est elle tout entière à la fin !… C’est toute la beauté la nuit… ça vient se rebiffer contre vous… ça vous attaque, ça vous emporte… C’est impossible à supporter… À force de branler des visions j’en avais la tête en salade… Moins on briffait au réfectoire plus je me tapais des rassis… Il faisait si froid dans la crèche qu’on se rhabillait entièrement une fois que le vieux était tiré…
Le réverbère, sous notre fenêtre, celui des rafales, il arrêtait plus de grincer… Pour perdre encore moins de chaleur, on restait couchés deux par deux… On se passait des branlées sévères… Moi, j’étais impitoyable, j’étais devenu comme enragé, surtout que je me défendais à coups d’imagination… Je la mangeais Nora dans toute la beauté, les fentes… J’en déchirais le traversin. Je lui aurais arraché la moule, si j’avais mordu pour de vrai, les tripes, le jus au fond, tout bu entièrement… je l’aurais toute sucée moi, rien laissé, tout le sang, pas une goutte… J’aimais mieux ravager le pageot, brouter entièrement les linges… que de me faire promener par la Nora et puis par une autre ! J’avais compris moi, s’il vous plaît, le vent des grognasses, le cul c’est la farandole ! C’est la caravane des paumés ! Un abîme, un trou, voilà !… Je me l’étranglais moi, le robinet… Je rendais comme un escargot, mais il giclait pas au-dehors… Ah ! mais non ! Miteux qui trempe est pire qu’ordure !… À l’égout la vache des aveux !… Ouah ! Ouah ! Je t’aime ! Je t’adore ! Ouin ! Ouin ! À qui vous chie sur l’haricot !… Faut plus se gêner c’est la fête ! On rince ! C’est nougat ! C’est innocent !… Petit j’avais compris berloque moi ! Au sentiment ! Burnes ! C’est jugé ! À la gondole !… Vogue hé charogne !… Je me cramponnais à ma burette, j’avais la braguette en godille ! Ding Ding Dong ! Je veux pas crever comme un miché ! La gueule en poème ! Ouin !
En plus du truc des prières, j’ai subi encore d’autres assauts… Il arpentait tous les sentiers, il se tenait derrière chaque buisson l’esprit malin des enculages… Comme on se tapait d’immenses parcours avec l’idiot et la si belle, j’ai traversé toute la campagne de Rochester et par tous les temps…
On a connu tous les vallons, toutes les routes et les traversières. Je regardais beaucoup le ciel aussi, pour me détourner l’attention. Aux marées, il changeait de couleurs… Au moment des accalmies, il arrivait des nuages tout roses, sur la terre et sur l’horizon… et puis les champs devenaient bleus…
Comme c’était disposé la ville, les toits des maisons dévalaient en pente vers le fleuve, on aurait dit toute une avalanche, des bêtes et des bêtes… un énorme troupeau tour noir et tassé dans les brumes qui descendait de la campagne… Tout ça fumait dans les buées… jaunes et mauves…
Elle avait beau faire des détours et des longs repos propices, ça me portait pas aux confidences… même quand ça durait des heures, qu’on passait par des petites rues pour revenir à la maison… Même un soir, qu’il faisait déjà nuit sur le pont qui passe à Stroude… On a regardé comme ça le fleuve… Pendant longtemps, le remous contre les arches… on entendait toutes les cloches de loin… de très loin… des villages… Elle m’attire alors la main, elle me l’embrasse comme ça… J’étais bien ému, je la laisse faire… Je ne remue pas… Personne pouvait voir… Je ne dis rien, j’ai pas bronché… Elle a pas eu un soupçon… Résister j’avais du mérite… Plus ça me coûtait, plus je devenais fort… Elle me ferait pas fondre la vampire ! même qu’elle serait mille fois plus gironde. D’abord, elle couchait avec l’autre, le petit macaque ! Ça débecte tant qu’on est jeunes les vieux qu’elles se tapent… Si j’avais un peu parlé, j’aurais essayé de savoir pourquoi lui ? pourquoi lui si laid ? Y avait de la disproportion !… J’étais peut-être un peu jaloux ?… Sans doute ! Mais c’est vrai qu’il était affreux à regarder et à entendre… avec ses petits bras tout courts… agités comme des moignons… sans raison… sans cesse… Il avait l’air d’en avoir dix, tellement qu’il les agitait… Rien que de le regarder, on se grattait… Il arrêtait pas aussi de faire claquer ses doigts en pichenettes, de taper des mains, de recommencer des moulinets, de se croiser les bras… une petite seconde… Vroutt ! il était reparti ailleurs… un vrai picrate… une engeance… des saccades… un lunatique… un poulet…
Elle, au contraire, elle émanait toute l’harmonie, tous ses mouvements étaient exquis… C’était un charme, un mirage… Quand elle passait d’une pièce à l’autre, ça faisait comme un vide dans l’âme, on descendait en tristesse d’un étage plus bas… Elle aurait pu être soucieuse, montrer plus souvent du chagrin. Dans les premiers mois, je l’ai toujours vue contente, patiente, inlassable, avec les merdeux et l’idiot… Ils étaient pas toujours marrants… C’était pas une situation… Avec une beauté comme la sienne, ça devait être plutôt facile d’épouser un sac… Elle devait être ensorcelée… elle avait dû faire des vœux. Et il était sûrement pas riche ! Ça me demeurait sur l’estomac, ça me passionnait même à la fin…
Pour Nora, l’idiot, il était un tintouin affreux, elle aurait pu être épuisée à la fin des après-midi… Rien qu’à le moucher, le faire pisser, le retenir à chaque instant de passer sous les voitures, d’avaler des trucs au hasard, de tout déglutir, c’était une corvée ignoble…
Elle était jamais très pressée. Dès qu’il a fait moins vilain, on est rentrés encore plus tard, en flânant dans le village et le bord de la rivière… Il bavait beaucoup moins Jonkind en promenade qu’à la maison, seulement il raflait des objets, il fauchait les allumettes… Si on le laissait un peu seul, il foutait le feu aux rideaux… Pas par méchanceté du tout, il courait vite nous avertir… Il nous montrait comme c’était beau les petites flammes…
Les boutiquiers du pays, à force de nous voir passer, ils nous connaissaient tous très bien… C’étaient des grocers… c’est le nom des boutiquiers, un genre d’épiceries… J’ai tout de même appris ce nom-là… Ils équilibraient en vitrine des vraies montagnes en pommes, en betteraves, et sur leurs comptoirs infinis des vraies vallées d’épinards… Ça grimpe à pic jusqu’au plafond… ça redescend d’une boutique à l’autre… en choux-fleurs, en margarine, en artichauts… Jonkind il était heureux quand il voyait ces choses-là. Il sautait sur le potiron, il mordait dedans comme un cheval…
Moi aussi, les fournisseurs ils me croyaient cinglé… Ils lui demandaient de mes nouvelles… ils lui faisaient des signes à Nora, au moment que j’avais le dos tourné… du doigt, comme ça sur la tête… Better ! Better ? qu’ils chuchotaient. No ! No ! qu’elle répondait tristement… J’allais pas Better nom de Dieu ! Jamais que j’irais Better !… Ça me foutait en rebrousse des manières comme ça !… Pitoyeuses… Soucieuses…
Pendant le tour des commissions, y avait une bonne petite chose que j’avais toujours remarquée… et alors bien intrigante… Le coup des bouteilles de whisky… On en remontait au moins une et souvent même deux dans la semaine… et parfois en plus du brandy… Et je les revoyais jamais à table !… ni au parloir !… ni dans les verres !… pas une seule goutte !… On buvait, nous autres, de la flotte et de la bien claire et strictement… Alors où qu’elle partait la gniole ? Y avait un paillon dans la tôle ? Ah ! je m’en gourais fortement ! Je me répétais à tout hasard, y a quelqu’un là-dedans qui suce !… C’est un petit gâté qu’a pas froid !… Avec ce qu’y se jette, même en hiver, il doit pas craindre les rhumatismes !… Voilà !