Y avait plus à se défiler ! La grosse chérie était devenue, progressivement, une vraie terreur !… Maintenant, qu’elle avait toute seule retourné un petit hectare, elle nous menait la vie des plus dures !… On hésitait pour lui causer… Elle menaçait de nous suivre partout si on repartait en vadrouille, si on se mettait pas au boulot dans les vingt-quatre heures !… C’était plus la pause !… Il a fallu qu’on s’exécute, qu’on extraye de dessous la bâche et le moteur et sa dynamo… On a dérouillé le gros volant… On l’a élancé un petit peu… On a bien rabobichonné un beau tableau des « Résistances »… Et puis c’était marre !… Et puis on s’est aperçu qu’on manquerait de fil de laiton… Il en fallait énormément, des bobines et des bobines pour faire des quantités de zigzags entre chaque rangée de patates, sur toute l’étendue de notre culture… Il suffisait pas de cinq cents mètres !… Il en fallait des kilomètres ! Autrement ça marcherait jamais… Sans laiton, pas de radio-tellurisme possible !… Pas de maraîchage intensif ! Finis les effluves cathodiques… C’était la stricte condition… Au fond c’était pas si mal… Nous avons bien cru tout d’abord que ce malheureux laiton il deviendrait notre fine excuse, le bel alibi, qu’elle serait, notre vieille, épouvantée par le prix du matériel pour un débours aussi critique… que ça la ferait réfléchir, qu’elle nous ficherait un peu la paix… Mais au contraire, pas du tout !… Ça l’a plutôt refoutue en rogne… Elle nous a menacés si on lanternait davantage… si on faisait traîner les choses, d’aller toute seule s’établir à Saligons comme sage-femme et pas plus tard que la semaine prochaine ! Ah ! vraiment y avait plus d’amour ! Elle nous fabriquait sur le vif !… Mais même de bonne volonté, il nous restait plus assez de sous pour des achats aussi coûteux… Mais nom de Dieu ! c’était la ruine !… Qui ça nous aurait fait crédit ?… C’était pas la peine de tenter…

D’autre part, c’était pas possible de lui faire comprendre à la vieille au juste notre situation… Qu’on venait en particulier de flamber précisément notre suprême petite réserve… le reste du cureton, dans les courses par correspondance… Ah ! Car enfin on l’avait perdu… C’était à coup sûr une horrible attaque… La fin du système !… Un cataclysme pas affrontable… Nous étions vraiment ennuyés. Elle devenait d’une intolérance absolument fanatique maintenant qu’elle était butée sur la question de pommes de terre… Ça devenait absolument kif comme pour le coup des ascensions !… ou pour son chalet de Montretout… Y avait plus à en démordre !… Quand elle s’était vouée à un truc, elle se vrillait dedans comme un boulon, fallait arracher toute la pièce !… C’était extrêmement douloureux !…

« Tu me l’as dit, n’est-ce pas ?… Tu vas pas te dédire ?… Je t’ai bien entendu ?… Tu me l’as répété dix fois… cent fois !… Que t’allais la faire marcher ta sale engeance électrique ? J’avais pas la berlue ?… C’est pour ça, n’est-ce pas, qu’on est venus tous par ici ?… J’imagine rien ?… C’est pour ça que t’as vendu la boîte pour un morceau de pain ?… Lavé ton journal ?… Que tu nous as tous embarqués de gré, de force, de violence dans cette fondrière !… dans cette porcherie !… Cette pourriture !… Oui ?…

— Oui, ma toute aimée !…

— Alors, c’est bien !… Moi je veux voir ! Tu m’entends ?… Je veux voir !… Je veux voir tout !… J’ai tout sacrifié ! Toute mon existence !… Ma santé… Tout mon avenir… Tout !… Il me reste plus rien… Je veux les voir pousser !… Tu m’entends ?… Pous-ser !!!… »

Elle se plantait là en défi, elle lui jetait ça entre quatre yeux !… À force de faire des travaux durs elle possédait des biscotos qu’étaient pas pour rire !… Des masses redoutables !… Elle chiquait à travers champs… Elle ne fumait sa pipe que le soir, et pour aller au marché… Le facteur Eusèbe, qui ne desservait plus notre endroit depuis des années, il a fallu qu’il recommence… Il se payait ça deux fois par jour !… Le bruit s’était répandu, très vite, dans les autres provinces, que certains agriculteurs faisaient des merveilles, réalisaient des miracles dans la culture des pommes de terre par les effluves magnétiques…

Notre vieille clique des inventeurs nous avait reflairés à la trace !… Ils semblaient tous bien heureux de nous retrouver tous les trois… sains et saufs… Ils nous rassaillaient de projets !… Ils ne gardaient pas du tout de rancune !… Le facteur il avait sa claque… Il se coltinait trois fois par semaine des sacs entiers de manuscrits… Sa besace était si lourde que son cadre en avait rompu… Il avait mis une double chaîne… sa bicyclette s’était repliée sur elle-même… Il en réclamait une autre, une neuve, au Département…

Des Pereires, dès les premiers jours, il s’était remis à méditer… Il profitait intensément des loisirs et de la solitude… Il se sentait préparé enfin contre les aléas du sort. Et n’importe lesquels !… Il était plein de méditations ! Absolument résolu ! La Résolution !… Il l’affronterait son Destin !… Ni trop confiant… Ni trop défiant… juste averti !…

« Ferdinand ! Regarde ! et constate !… Les événements se déroulent à peu près comme j’avais prévu !… Seulement avec un peu d’avance !… Une cadence un peu nerveuse !… Et je n’y tenais pas !… Toutefois, tu vas voir… Observe ! N’en perds pas une petite miette ! Pas un atome lumineux !… Admire comme Courtial, mon enfant, va terrasser, dompter, contraindre, enchaîner, soumettre la rebelle fortune !… Regarde ça ! Ébaubis-toi ! Renseigne-toi ! Tâche d’être impavide et prêt à la seconde ! Aussitôt servi je te la passe ! Et hop ! Étreins ! Étrangle ! Ce sera ton tour ! Bise ! Crève la garce ! Mes stricts besoins personnels sont ceux d’un ascète ! Je serai promptement repu ! Gavé ! Submergé d’abondance ! Saigne-la toi ! Vide-lui toute la sauce !… T’as l’âge de toutes les ivresses ! Profite ! Abuse ! Nom de Dieu ! Reluis ! Fais-en ce que tu veux ! J’en aurai moi toujours de trop !… Embrasse-moi !… Tiens ! nous sommes veinards ! »

C’était pas commode de s’étreindre, à cause de mon pardessus qu’était solidement amarré avec ses ficelles dans l’intérieur de mon falzar !… Ça limitait les mouvements, mais ça me tenait extrêmement chaud… C’était nécessaire ! L’hiver était déjà sur nous !… Le corps de logis principal, malgré la cheminée, le calfatage il était pourri de courants d’air… Il gardait tous les vents coulis et pas beaucoup de chaleur… C’était une passoire pour frimas… C’était vraiment une très vieille tôle.

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