Jean-Marin Courtial des Pereires il crânouillait plus beaucoup… Il faisait même assez morose… Il prenait peur des phénomènes, des enragés du Concours… Il recevait des lettres anonymes qu’étaient pas à piquer des vers !… Les plus hargneux récalcitrants ils menaçaient de revenir toujours quand même… de le corriger jusqu’au trognon !… de l’étendre une bonne fois pour toutes !… qu’il puisse plus jamais dans l’avenir arranger personne !… C’était des vengeurs… Alors, dessous la redingote, par-dessus le gilet de flanelle, il s’était posé une cotte de mailles en aluminium trempé… Un autre brevet du Génitron qui nous était resté pour compte, « extra-légère imperçable ». Mais ça suffisait pas tout de même pour le rassurer complètement… Dès qu’il apercevait au loin le truand qu’avait pas bonne mine… qu’avait pas l’air du tout heureux… qui venait sur nous en grognant, tout de suite il se trissait dans la cave !… Il attendait pas les détails…
« Ouvre-moi la trappe, Ferdinand ! Laisse-moi vite passer ! C’en est un ! Y a pas d’erreur !… Tu diras que je suis parti ! Depuis avant-hier ! Que je reviens plus !… Au Canada ! Que je vais y rester tout l’été ! que je chasse là-bas la belette ! la zibeline ! le grand faucon ! Dis-lui que je veux plus le revoir ! Pas pour tout l’or du Transvaal ! Voilà ! Qu’il s’en aille !… Qu’il s’évapore !… Qu’il se disperse !… Mets-lui le feu aux poudres ! ce salaud ! Qu’il éclate !… Bon Dieu de Nom de Dieu ! » Dans la cave, comme ça bien close, il se trouvait un peu plus tranquille. C’était maintenant un espace vide depuis qu’on avait tout fourgué, les restes du sphérique, les bricoles… Il pouvait déambuler tout à travers… de long en large, tout à son aise !… Il avait une énorme place… Il pouvait refaire sa gymnastique !… Dans une encoignure, au surplus, il s’était aménagé un « blockos » à toute épreuve… pour qu’on l’aperçoive plus du tout… si il arrivait des assaillants… entre des penderies et des caisses… Il restait là des heures entières… Au moins il m’emmerdait plus… Moi j’aimais bien qu’il disparaisse… Ça me suffisait de la grosse mignonne qui ne quittait plus le magasin… C’est elle maintenant qui cramponnait… Elle voulait mener tout à sa guise… le journal et les abonnés…
Dès deux heures de l’après-midi, elle radinait de Montretout… Elle s’installait dans la boutique, harnachée en grande tenue avec le chapeau « hortensia », la voilette, l’ombrelle et la pipe ! Pas d’histoires ! Elle attendait les adversaires… Quand ils arrivaient buter dessus, ça leur foutait quand même un choc…
« Asseyez-vous ! qu’elle leur disait… je suis Mme des Pereires !… je connais toutes vos histoires ! On ne m’en raconte pas à moi ! Parlez donc ! je vous écoute ! Mais soyez bref ! Je n’ai pas une seconde à perdre ! On m’attend pour un essayage… »
C’était sa tactique… Presque tous ils se déconcertaient…
Y avait la rude intonation, la voix puissante ! éraillée certes, mais, caverneuse et pas facile à dominer… Ils réfléchissaient une minute… Ils restaient là devant la mémère… Elle relevait un peu sa voilette… Ils apercevaient les bacchantes, toute la peinture, les châsses d’odalisque… Et puis elle fronçait les sourcils… « Alors, c’est tout ?… » qu’elle leur demandait… Ils se retiraient en péteux… souvent à reculons… Ils s’effaçaient gentiment !… « Je reviendrai, Madame… Je reviendrai !… »
Voilà qu’un après-midi elle donnait comme ça son audience… Elle finissait un peu de compote… c’était vers quatre heures… il lui fallait ça pour goûter… c’était son régime… sur le coin de la table… Je peux bien me souvenir du jour exact, c’était un jeudi… Le jour fatal de l’imprimeur… Il faisait extrêmement chaud… L’audience tirait à sa fin… Madame avait déjà viré toute une bande de mirontons, des escogriffes du concours, et toujours à l’estomac… Des quémandeurs, des ergoteurs, des bafouilleux… Entièrement à la rigolade… Quand voilà un curé qui rentre… Ça devait pas nous épater… Nous en connaissions quelques-uns… et des abonnés très fidèles… des correspondants fort aimables…
« Asseyez-vous, M. le Curé… » La grande politesse tout de suite ! Il s’approprie le grand fauteuil… Je le regarde attentivement. Je l’avais jamais vu ce gonze-là… Certainement que c’était un nouveau. Comme ça, à première impression, il faisait assez raisonnable… même circonspect, pourrait-on dire… Tout à fait calme… bien élevé… Il trimbalait un parapluie… malgré le franchement beau temps… Il va le déposer dans un coin… Il revient, il toussote… Il était plutôt replet… pas hagard du tout… Nous autres on avait l’habitude des véritables originaux… Presque tous nos abonnés, ils faisaient un peu des tics… des grimaces… Celui-ci il semblait bien peinard… Mais le voilà qui ouvre la bouche… et il commence à raconter… Alors je comprends d’un seul coup… Comment qu’il déconne !… Il venait tout droit lui aussi pour nous parler d’un concours… Il lisait notre Génitron, il l’achetait au numéro… depuis des années… « Je voyage beaucoup ! beaucoup !… » Il s’exprimait par grandes saccades… Il fallait tout saisir au vol, des paquets de phrases entortillées… avec des nœuds… des guirlandes et des retours… des brides qui n’en finissaient plus… Enfin on a tout de même compris qu’il aimait pas notre « Perpétuel » !… Il voulait plus qu’on en cause ! Ah ! ça non ! Il se fâchait tout rouge !… Il avait bien autre chose en tête… Et ça le tracassait !… Il fallait qu’on marche avec lui !… C’était à prendre ou à laisser !… Ou bien alors contre lui !… Il nous a bien prévenus tout de suite ! Qu’on réfléchisse aux conséquences ! Plus de « Perpétuel ». Pas sérieux ça ! Une calembredaine !… À aucun prix !… C’était autre chose, lui son dada !… On a fini par le savoir… Comme ça d’écheveaux en aiguille… en dix mille circonlocutions… ce qui lui travaillait le siphon… C’était les Trésors sous-marins ! Une noble idée !… Le sauvetage systématique de toutes les épaves !… De tous les galions d’ « Armada » perdus sous les océans depuis le début des âges… Tout ce qui brille… tout ce qui parsème… tout ce qui jonche le fond des mers ! Voilà ! C’était ça, lui, sa marotte ! toute son entreprise !… C’est pour ça qu’il venait nous causer !… Il voulait qu’on s’en occupe… qu’on perde pas une seule minute !… qu’on organise un concours ! une compétition mondiale… pour le moyen le meilleur ! Le plus sûr ! Le plus efficace !… de remonter tous les trésors !… Il nous offrait toutes ses ressources, sa propre fortune, il voulait bien tout risquer… Une garantie formidable pour couvrir déjà tous les frais de mise en route… Forcément, Madame et moi, on se tenait un peu sur les gardes… Mais il insistait beaucoup… Lui le système qu’il voyait, le cureton fantasque, c’était une « Cloche à plongeur » !… qui se déroulerait très profonde ! par exemple vers 1800 mètres !… Qui pourrait ramper dans les creux… appréhender les objets… crocheter, dissoudre les ferrures… absorber les coffres-forts par « succion spéciale »… Il voyait tout ça facilement… C’était à nous, par le canard, d’attirer les compétiteurs… De ce côté-là, nous étions fortiches !… Nous ne redoutions vraiment personne ! Il frémissait d’impatience qu’on passe aux épreuves !… Il a même pas attendu qu’on émette une seule objection… ou seulement le début d’un petit doute !… Plaff ! comme ça en plein sur la table… Il plaque son paquet de fafiots… Y en avait pour six mille francs !… Il a pas eu le temps de les regarder !… Ils étaient déjà dans ma fouille… la mère Courtial, elle en sifflait !… Je veux battre le fer !… J’attends plus…
« M. le Curé, restez-là, je vous en prie ! une seconde… Une toute petite ! Le temps que je cherche le Directeur… Je vous le ramène à la minute… »
Je saute dans la cave… Je hurle après le vieux… Je l’entends qui ronfle ! Je pique droit sur sa guitoune… Je le secoue… Il pousse un cri ! Il croyait qu’ils venaient l’arrêter… Il chocotait fort dans son jus… Il tremblochait dans ses hardes…
« Allez ! que je lui dis… En l’air ! C’est pas le moment des pâmoisons ! »
Au soupirail, dans le filet de jour, je lui montre le flouze… C’est pas le moment de perdre la voix ! Merde !… En deux mots je l’affranchis… Il regarde encore mon pognon… Et une fois par transparence… Il vise les biffetons un par un… Il se reconstitue rapidement ! Il s’ébroue, il renifle les fafiots… Je le nettoye ! Je lui enlève la paille partout… Il se requinque vite les moustagaches… Le voilà paré ! Il remonte au jour… Il se présente dans une brillante forme… Déjà il avait son topo tout prêt dans l’esprit… tout baveux… complètement sonore !… Il nous éblouissait d’emblée sur la question des plongeurs ! L’historique de tous les systèmes depuis Louis XIII jusqu’à nos jours ! Les dates, les endroits, les prénoms de ces précurseurs et martyrs !… Et les sources bibliographiques… et les Recherches aux Arts et Métiers !… C’était proprement féerique… Le cureton il en rotait ! Il rebondissait sur son siège de joie et de délectation… C’était très exactement tout ce qu’il avait espéré !… Alors comme ça, bien ravi, en plus de son offre précédente… On lui demandait rien !… Il nous assure de deux cents sacs ! rubis sur l’ongle ! pour tous les frais du concours ! Il voulait pas qu’on lésine sur les études préliminaires !… Sur l’établissement des devis !… Pas de chicane, pas de ratiboise !… Nous avons tout accepté… paraphé… conclu !… Alors tout à fait copains il a sorti de sa soutane une carte sous-marine immense… Pour qu’on se rende bien compte tout de suite de l’endroit de tous les trésors !… Où qu’elles étaient englouties toutes ces richesses phénoménales !… depuis vingt siècles et davantage…
On a bouclé la cambuse… On a étalé le parchemin entre nos deux chaises et la table… C’était une œuvre mirifique cette « Carte aux Trésors »… Ça donnait vraiment du vertige… rien qu’en jetant dessus un coup d’œil… Surtout si l’on considère le moment où il survenait ce drôle de Jésus !… après des temps si difficiles ! Il nous bluffait pas le cureton !… C’était bien exact sur sa carte tous les flouzes planqués dans la flotte… C’était pas niable ! Et près des côtes… avec les relevés « longitudes »… On pouvait bien se figurer que si on la trouvait la cloche pour descendre rien qu’à 600 mètres, ça deviendrait du vrai nougat ! On était tranquille comme Baptiste… Nous possédions à la cuiller tous les trésors de l’Armada !… Y avait qu’à se baisser pour les prendre… C’était tout à fait le cas de le dire… Rien qu’à trois milles marins de Lisbonne à travers l’embouchure du Tage… gîtait une planque colossale !… Et là, c’était vraiment commode, une entreprise pour débutants !… Si on se payait un peu d’audace, qu’on force un peu la technique… Alors ça prenait d’autres tournures !… On pouvait prétendre raide comme balle remonter tout à la surface le trésor du « Saar Ozimput » englouti dans le Golfe Persique deux mille ans avant Jésus-Christ… Plusieurs coulées de gemmes uniques ! Des parures ! Des émeraudes d’une magnificence incroyable !… un petit milliard au bas mot… Le lieu précis de ce naufrage, le curé l’avait sur sa carte pointé très exactement… Cent fois, d’autre part, maints sondages, pratiqués au cours des siècles, avaient relevé la position… Pas d’erreur possible !… Ça n’était plus, tous frais à part, qu’un petit problème de chalumeaux… de « fraises oxhydriques »… Une mise au point… Quand même un petit aléa pour pomper les trésors du « Saar »… Nous réfléchîmes tout un jour… Et d’autres minimes « inconnues » dans la législation persane nous firent un instant tiquer… Et puis nous tenions d’autres blots, ceux-là entièrement sous la main, sucrés, parfaitement accessibles… dans des mers les plus clémentes !… absolument libres de requins ! Il fallait penser aux plongeurs ! Fuyons ! Fuyons les tragédies…
Tous les fonds du globe, en somme, regorgeaient de coffres inviolés, de galiotes farcies de diamants… Peu de détroits, peu de criques, de golfes, de rades ou d’embouchures qui ne recelassent sur la carte quelque pharamineux butin !… très facilement renflouable à partir de quelques cents mètres !… Tous les trésors de Golconde ! Galères ! Frégates ! Caravelles ! Bisquines ! pleines à craquer de rubis et Koh-I-Nors ! de doublons « triples effigies »… Les côtes spécialement du Mexique paraissaient à ce propos positivement indécentes !… Les conquistadores les avaient semble-t-il pour notre gouverne littéralement remblayées, perdues avec leurs lingots et les pierres précieuses… Si on insistait réellement et à partir de 1200 mètres… les diamants devenaient pour rien !… Par exemple au large des Açores, pour ne citer que ce cas-là… un vapeur du siècle dernier, le Black Stranger, un cargo mixte, un courrier du Transvaal en contenait pour plus d’un milliard… lui tout seul (d’après les plus prudents experts…). Il gîtait sur un fond de roches à 1 382 mètres et en « porte-à-faux » !… Déjà crevé par le mitan… Y avait plus qu’à fouiller les tôles !…
Notre curé en connaissait d’autres, un choix stupéfiant… Toutes les épaves récupérables… et toutes faciles à vider… Plusieurs centaines à vrai dire… Il en avait criblé sa carte de trous pour les prospections… Ça figurait les endroits des sauvetages les plus urgents… au dixième de millimètre… Ils étaient en noir, vert ou rouge suivant l’importance du trésor… Avec des petites croix…
C’était plus que des questions de technique ! d’astuce ! d’à-propos !… À nous de démontrer nos talents !… Ça n’a pas traîné, Ventredieu !… Des Pereires, comme ça, dans la fièvre, pour pas laisser rien refroidir… saisissant sa plume, une rame, la règle, la gomme, le buvard, il a rédigé devant nous, s’accompagnant à haute voix, une véritable proclamation !… C’était vibrant !… C’était sincère !… Et puis en même temps minutieux et probe !… Voilà comment qu’il travaillait !… Il a situé tout le problème au poil !… en moins de cinq minutes ! dans l’inspiration ! C’était un boulot de première !… « Faut pas remettre les choses au lendemain !… Il faut que cet article sorte tout de suite… ça fera un numéro spécial !… » Voilà comment il ordonnait… Le curé il était heureux ! Il jubilait… Il pouvait plus causer du tout…
Je ne fis qu’un bond rue Rambuteau… J’emmène tout le pèze dans ma poche… Je laisse seulement cinquante francs pour la grosse mignonne… Merde !… Je m’étais donné assez de mal !… je les aurais laissés dans la caisse, sûrement jamais je les aurais revus !… Le vieux il en faisait une gueule !… Il devait des avances à Naguère… Il avait déjà fait sa mise !… Tout ça c’était plus fort que lui… Mais ça devenait bien préférable que je reste moi le trésorier !… Ça risquait infiniment moins !… On dépenserait que peu à peu… et pas du tout sur les « gayes »… Ah ! j’en étais sûr !… C’est moi qui réglerais les notes… Taponier d’abord, premier privilège ! son « numéro spécial » !… Il vivait plus cet imprimeur… Quand il a regardé mes « espèces », il en croyait par ses deux châsses !… Il les a bien visées quand même !… et par transparence !… Du liquide ! Il était groggy complètement !… Il savait plus quoi me répondre… Je lui ai réglé six cents francs pour les dettes en retard, et puis encore deux cents autres pour le « numéro » et pour le tam-tam du concours !… Là il s’est alors dépêché… Deux jours après on les a reçus les exemplaires… Expédiés, bandés, collés, timbrés, tout !… Je les ai portés à la grande poste en voiture à bras avec Courtial et Madame !…
Le curé, au moment de sortir, on le lui a bien demandé qu’il nous inscrive son adresse, son nom, sa rue, etc… mais il avait nettement refusé !… Il voulait rester anonyme !… Ça nous intriguait… Evidemment qu’il était drôle ! Mais beaucoup moins que tant des autres… C’était un homme corpulent, il avait extrêmement bonne mine, et propre et rasé, à peu près le même âge à Courtial… mais complètement chauve… Il explosait en bégayant dans les poussées de l’enthousiasme !… Il tenait plus alors sur son siège tellement qu’il se trémoussait !… On l’avait trouvé bien optimiste… Certainement bizarre… Mais enfin, ce qu’il avait prouvé, c’est qu’il avait bien du pognon !… C’était le vrai commanditaire !… C’était le premier nous qu’on voyait… Il pouvait être un peu étrange…
En revenant tous trois de la Grande Poste, on a passé juste devant le « quart » avec la bagnole, rue des Bons-Enfants… Je fais au vieux : « Arrêtez minute !… Chiche que je l’avertis !… Je vais lui dire que tout va bien ! » Une idée de merdeux qui me traverse d’aller crâner avec le flouze… d’y dire qu’on était plein de pognon !… Je bondis donc, je pousse leur pote… Ils me reconnaissent les poulets :
— Alors, Zigomar ?… qu’il me demande celui du pupitre… Quoi tu viens foutre ?… Tu veux faire un tour au local ?…
— Non, que je lui dis… Non, Monsieur !… C’est pas pour moi la cabane ! Je venais simplement en passant vous montrer un petit numéraire… » Et je lui sors mes quatre fafiots… Je les agite devant ses yeux… « Voilà que je fais… Et pas volé !… Je viens vous prévenir tout simplement que c’est encore pour un concours… “ La Cloche à plongeur ! ”…
— Plongeur ! Plongeur !… qu’il me répond… Tu vas voir moi, si je vais te plonger !… Mais tu te fous de ma gueule, ma parole !… Sale petite craquette morveuse ! »
J’ai redescendu encore plus vite… Je voulais pas aller au pétard… On s’est marré dans la rue !… On a piqué un petit galop avec la bagnole… On a fait vinaigre jusqu’à la rue du Beaujolais !…