Je trouvais toujours pas d’acquéreurs, ni pour le « gros » ni en « détail »… Elles me restaient toutes sur les bras mes rousselettes et mes chimères… Cependant j’avais tout entrepris… De la Madeleine jusqu’à Belleville… Tout parcouru… Tout tenté… Pas une porte que je n’aie poussée tôt ou tard de la Bastille à Saint-Cloud… Toutes les brocantes… les horlogeries… depuis la rue de Rivoli jusqu’au cimetière de Bagneux… Les moindres juifs ils me connaissaient… Tous les « zizis »… tous les orfèvres… Je remportais jamais que des vestes… Ils voulaient de rien… Ça pouvait pas durer toujours… Les malheurs ça se fatigue aussi…

Un jour enfin, j’ai dérouillé. Ce miracle, il est survenu au coin de la rue Saint-Lazare… J’y passais cependant tous les jours !… Jamais je m’étais arrêté là. Un magasin de chinoiseries… À cent mètres de la Trinité. J’aurais dû remarquer pourtant qu’ils aimaient aussi les grimaces et pas des petites, des énormes ! Ils en tenaient des pleines vitrines ! Et pas pour rire, des vraies horreurs ! Dans le genre des miennes au fond… En somme aussi laides… Mais plutôt eux en « salamandres »… en dragons volants… en bouddhas sur d’énormes bides… complètement dorés tout autour… qui roulaient des yeux furibards… Ils fumaient par-derrière le socle… Genre « rêveries d’opium »… Et des rangées d’arquebuses et des hallebardes jusqu’au plafond… avec des franges et des verroteries clignotantes. De quoi rigoler. Il en redescendait plein de reptiles qui crachaient des feux… Vers les parquets… Entortillés sur les colonnes… Et cent parasols aux murs flamboyants des vifs incendies et puis un diable près de la porte, grandeur nature, tout environné de crapauds, leurs calots tout écarquillés par dix mille lanternes…

Puisqu’ils vendaient des trucs semblables, la réflexion m’est venue… un trait d’astuce… qu’ils pourraient bien aimer aussi mes petites marchandises personnelles ?

Je me paye alors de culot, je pénètre dans la portière… avec mes calebasses, je déballe… je bafouille forcément d’abord… j’amène enfin mon boniment.

Le mec, c’était un petit nougat tout bridé de la tronche, avec une voix de vieille daronne, tout futé, menu, il portait aussi une robe de soie à ramages, et des babouches sur planchettes, enfin le véritable magot, sauf le chapeau mou… D’abord, il mouffte pas grand-chose… Mais tout de même j’ai discerné que je lui tape un peu dans l’œil avec mon grand choix de sortilèges… mes mandragores… toutes mes méduses en tire-bouchon… mes broches en peaux de Samothrace… C’est du nanan pour un Chinois !… Il fallait venir d’aussi loin pour goûter mon assortiment…

Enfin, il sort de sa réserve… Il s’émeut même très franchement… Il s’enthousiasme… Il exulte… Il en bégaie d’impatience… Il me dit comme ça à brûle-pourpoint… « Je crois, mon cher petit jeune homme, que je vais être en mesure de faire quelque chose pour vous… » Il chantonne encore…

Il connaissait un amateur près du Luxembourg… Un Monsieur extrêmement convenable… Un véritable savant… qui raffolait des bijoux de grand style et d’art… tout à fait ma notoriété… C’était un Mandchou ce mec-là, il venait en vacances… il m’a rencardé du genre… Il fallait pas que je parle trop fort… Il détestait tous les bruits… Il m’a refilé son adresse… C’était pas un bel hôtel, c’était rue Soufflot… Le Chinois de la rue Saint-Lazare il demandait pour lui-même qu’une « fleur »… Si j’obtenais la commande… Rien que cinq pour cent… C’était pas exagéré… J’ai signé son petit papelard… J’ai pas perdu une seconde… J’ai même sauté rue des Martyrs, dans l’omnibus « Odéon ».

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