Âme (2)

L’âme ? L’âme de qui ? de quoi ? Notre conscience, notre esprit, notre énergie qui s’éteindront avec nous ? Ou notre bagage virtuel que nous ouvrirons après notre mort au jugement de Dieu ? Une glande dans le cerveau, selon Descartes ? Une annexe du cœur ? Un miroir le long du chemin ? Le disque dur de notre moi ?

L’âme est une bonne fille. On lui colle toutes les métaphores : l’âme d’une équipe de foot, d’une révolte populaire, d’un orchestre, d’un paysage champêtre, d’une ONG, d’un complot, d’une maison, d’une ville, d’une nation…, l’âme latine, l’âme slave, l’âme des geishas, l’âme des guérilleros… Plus l’âme se répand, moins on y croit. Sauver son âme n’est plus comme jadis l’ambition de la vie. On préférait alors perdre la vie plutôt que perdre son âme. Aujourd’hui, s’il y a péril en la demeure, partout où la mort rôde et menace, on pense d’abord à sauver sa peau. L’âme, en cas de malheur, ce ne sera que du bonus.

Là-dessus, Malaparte a écrit des pages très fortes dans La Peau. Le récit, à vous faire dresser d’horreur les cheveux sur la tête, se situe à Naples, en 1943, pendant et après la libération de la ville par les Alliés. « C’est la civilisation moderne, cette civilisation sans Dieu, qui oblige les hommes à donner une telle importance à leur peau. Seule la peau compte désormais. Il n’y a que la peau de sûr, de tangible, d’impossible à nier. C’est la seule chose que nous possédions, qui soit à nous. La chose la plus mortelle qui soit au monde. Seule l’âme est immortelle, hélas ! Mais qu’importe l’âme, désormais ? Il n’y a que la peau qui compte. »

Curzio Malaparte a écrit La Peau en 1947 et 1948. Il est mort en 1957. Il n’a donc pas assisté à l’explosion commerciale de la cosmétique. S’il revenait parmi nous, il serait effaré par l’abondance des crèmes qui se proposent de rendre notre peau plus douce, plus élastique, plus jeune, plus claire, plus mate, plus parfumée, plus glamour, plus résistante. Des crèmes avant, pendant et après le soleil. Avant et après le rasage. Avant et après le bain. Avant, pendant et après l’amour. Avant et après le sommeil. Pour chaque partie du corps, de la tête aux pieds, du nourrisson au vieillard. Triomphe de la peau. On ne vend pas dans les parfumeries, les pharmacies et les supermarchés de crèmes pour l’âme. Non plus dans les églises.

Chaque fois que j’enduis de crème la peau de mon nez pour éviter que le soleil ne le change en poivron rouge, je pense à l’âme de Malaparte.

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