Chat (1)

« Nous autres, chats d’appartement, n’ayant plus à courir après les souris, nous avons attrapé des idées. Nous traquons les concepts, nous flairons les signes, il nous arrive même de jouer avec les mots. “J’ai lâché la lamproie pour l’omble”, aurait récemment dit la chatte futée d’une halle aux poissons. »

Ainsi commençait un livre sur les chats dont j’écrivis une vingtaine de pages et que j’abandonnai, jugeant que le narrateur ressemblait trop à un homme et pas assez à un chat. L’excès d’anthropomorphisme est un défaut récurrent des fictions animalières.

Donner la parole aux chats est par ailleurs une ineptie, même si de grands écrivains l’ont fait — Charles Perrault, Balzac, Marcel Aymé entre autres. Hormis leurs cris rauques et chants d’amour quand les chattes arquent leurs reins, ce sont des rêveurs, des taiseux. C’est leur nuire gravement que d’en faire des Pipelet, des baratineurs, des philosophes, ou même des écrivains. Leur langue ? Le silence. Paul Morand l’a bien dit : « Les chats ne sont énigmatiques que pour ceux qui ignorent le pouvoir expressif du silence » (cité par Frédéric Vitoux dans son Dictionnaire amoureux des chats).

Michel Onfray est plus explicite : « Du réel, sur lequel il (le chat) porte un regard acéré, il comprendrait tout, mais se ferait une loi de n’en rien dire. Témoin nonchalant, il installerait au sommet de la sapience le mutisme intégral, versant définitivement du côté du mystère : ceux qui se taisent ne le font qu’en vertu des relations privilégiées entretenues avec un idéal qui rend caduc le langage. Bouche close plutôt que soliloque. Mon chat ne parle pas car il sait la vanité du babillage, certainement » (Le Désir d’être un volcan).

À propos…

« Mallarmé raconte que, la nuit, il écoute les chats qui se parlent dans les gouttières. Ça ne l’intéresse pas vraiment jusqu’à ce qu’arrive son propre chat, brave Raminagrobis, très sage, qu’un autre chat interroge : “Qu’est-ce que tu fais en ce moment ?”, et le chat de répondre : “Je feins d’être chat chez Mallarmé” » (André Malraux, Antimémoires).

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