Impertinence

En 1970, Maurice Siegel, alors directeur d’Europe 1, eut l’idée de créer le matin, dans la procession des informations le plus souvent dramatiques ou alarmistes, et des éditoriaux politiques, une chronique gaie, légère, qui apporterait aux auditeurs trois ou quatre minutes de détente. Il me la confia parce qu’il appréciait dans Le Figaro et Le Figaro littéraire mes billets d’humour. On ne se creusa pas la tête pour trouver le titre : Chronique pour sourire.

Tous les matins, sauf pendant le week-end, j’étais en direct à l’antenne et, qu’il fasse soleil ou qu’il pleuve sur Paris ou dans mon cœur, je devais faire sourire les auditeurs entre huit heures et huit heures et demie. J’y suis le plus souvent parvenu puisque la rubrique m’a été confiée pendant quatre années et que je l’ai de moi-même abandonnée.

Outre l’obligation d’être divertissant, je devais choisir le sujet de la chronique dans l’actualité, qu’elle soit politique, sportive, mondaine, artistique, internationale, etc. Combien de fois, à minuit, la tête vide, je me suis couché en mettant le réveil à cinq heures, pariant sur une idée fraîche du petit matin ? À sept heures, je réveillais ma sainte femme pour qu’elle tape à la machine mes élucubrations jetées sur le papier.

Très vite, je me suis aperçu que c’était d’impertinence que les auditeurs avaient besoin. Montrer de l’irrévérence vis-à-vis des puissants et des idées à la mode. S’amuser des ridicules du moment, des tics de langage, des tentatives d’esbroufe, des manifestations d’autorité, des divagations de zozos ou de prophètes… Mais ce n’était qu’une impertinence modérée, des espiègleries, des bouffonneries, qui restaient de bon aloi, et qui, comparées à l’insolence radicale, à l’irrespect, à la méchanceté des chroniqueurs humoristiques et des imitateurs d’aujourd’hui, seraient considérées comme eau gazeuse et barbe à papa.

Pourtant, jugeant que j’allais trop loin dans mon « persiflage » à son égard, le président Georges Pompidou avait demandé mon éviction à la direction d’Europe 1. Je pris opportunément quinze jours de vacances. Un écho paru dans Le Canard enchaîné émettant des doutes sur mon retour à l’antenne, des lettres de soutien ou de protestation affluèrent à la station. En vérité, Maurice Siegel, Jean Gorini et Georges Leroy, le trio directionnel, n’avaient nullement l’intention de céder à l’exigence de censure de l’Élysée. D’accord avec eux, j’attendis une semaine pour prononcer de nouveau le nom de Georges Pompidou. Avec une certaine impertinence.

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