Dimanche

Je suis né un dimanche d’élections municipales, une heure avant la fermeture du scrutin. Le médecin accoucheur disait à ma mère : « S’il veut aller voter, il faut qu’il se dépêche. » En ce temps-là, ce n’était qu’à l’apparition du bébé que son sexe était identifié. Le docteur Édouard Rochet ne pouvait pas dire à ma mère : « Si elle veut aller voter, il faut qu’elle se dépêche. » En 1935, les femmes n’avaient pas encore le droit de choisir leur député ou leur maire.

C’était un dimanche de confortable réélection d’Édouard Herriot à la mairie de Lyon. Mon grand-père maternel, Claude Dumas, était un radical, tendance laïque, cervelle de canut et beaujolais. Sa moustache frémissait de plaisir à l’éloquente parole du député-maire. Il regrettait de n’avoir pas fait carrière dans la politique. Mais son premier petit-fils allait s’y illustrer, sûr et certain, puisque le destin le faisait naître un jour d’élections.

Claude Dumas est heureusement mort avant que — foulant aux pieds son ambition — je lui donne le spectacle navrant d’un jeune homme qui se fichait de la politique et qui, par la suite, se comporta en citoyen attentif, mais sceptique et ironique.

Il faut se méfier des signes supposés prémonitoires. Non qu’il n’y en ait pas, mais ils ne sont jamais très clairs et, surtout, l’un peut en cacher un autre. C’est ce qui s’est passé ce dimanche 5 mai 1935. Jour d’élections, oui, mais aussi jour de finale de la Coupe de France de football. Au stade de Colombes, devant quarante mille spectateurs, l’Olympique de Marseille avait battu Rennes par trois buts à zéro. Je suppose que mon grand-père s’était désintéressé de l’autre événement du dimanche. Pourtant, s’il y eut influence de l’actualité sur mon arrivée sur terre, c’est de cette finale de Coupe. Car le football serait l’une des passions de ma vie, d’abord comme joueur, puis comme spectateur, et même comme commentateur.

Ce que ne pouvait pas savoir mon grand-père, c’est que les mains qui me tirèrent du ventre de ma mère appartenaient à un jeune médecin épris des batailles à onze contre onze pour la possession d’un ballon rond. Trente ans exactement après ma naissance, le docteur Édouard Rochet allait devenir le troisième président de l’Olympique lyonnais…

> Football, Jeudi

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