Quenelle de brochet

Les quenelles de brochet constituaient l’entrée immuable du déjeuner de famille du jour de Noël. Pourquoi ma mère s’en serait-elle écartée alors qu’elle était assurée de triompher, comme chaque année, avec ce plat traditionnel de la cuisine lyonnaise ?

Elle avait longtemps vendu avec succès dans l’épicerie familiale des quenelles qu’elle faisait elle-même selon une recette de son invention. La clientèle, qui n’était pas composée que de flagorneurs, les jugeait plus fines, d’un goût plus subtil que les quenelles des enseignes renommées de la ville. Puis elle n’eut plus le temps de fabriquer elle-même la pâte et de la mélanger avec la chair pilée des brochets de la Dombes. Elle en confia la recette et la réalisation à un boucher de ses amis.

Il arrivait à la cuisinière d’opter pour les quenelles dites Nantua, accompagnées d’une sauce aux écrevisses. Mais c’était une préparation plus classique qu’elle préférait : quenelles gratinées, avec une béchamel crémée à laquelle elle ajoutait du concentré de tomates. Bien rangées dans une cocotte en fonte, sous l’action de la chaleur les petits fuseaux de pâte blanche légèrement jaunie triplaient ou quadruplaient de volume, de sorte que lorsque la cuisinière posait la cocotte sur la table, on voyait les quenelles du haut, dodues, bombées, soulever le lourd couvercle pour saluer les personnes qu’elles allaient régaler et pour ne pas laisser à la cuisinière le monopole des compliments.

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