Un baiser, tout à coup, comme ça, sans que celui ou celle qui le reçoit s’y attende. Sur la joue, il est la marque d’une gratitude spontanée, d’un irrépressible élan de tendresse. Sur la bouche, il peut déclencher une gifle ou inaugurer une longue histoire. Les deux lèvres pour un premier baiser sont comme des guillemets. Ouverts pour quelques secondes, une nuit ou un roman-fleuve ?
Ils sont rares, mais certains baisers sur la bouche paraissent inexplicables. Ainsi, dans son bureau, celui que donne « vigoureusement » Nathalie, jeune et mélancolique veuve, à Markus, son pâle subordonné. « Ce baiser, c’était la manifestation d’une anarchie subite dans ses neurones, ce qu’on pourrait appeler : un acte gratuit » (La Délicatesse, de David Foenkinos). Ils ne le savent pas, mais c’est un baiser qui en appellera beaucoup d’autres.
J’avais treize ou quatorze ans quand, pendant les vendanges, je reçus d’une femme dont la beauté me troublait un baiser énigmatique. Elle se pencha soudain sur moi et planta sa langue dans ma bouche. Je ressentis plus de stupeur que de plaisir. Puis vinrent la fierté, l’envie de recommencer. Mais elle reprit ses distances et ignora par la suite mes lèvres qui quémandaient au moins des explications.
Une simple embrassade peut tout autant décontenancer. Un jour, Jean-Jacques Rousseau se trouvait chez son ami le philosophe anglais David Hume. Celui-ci raconta qu’il vit Rousseau se lever, faire le tour de la pièce et s’asseoir sur ses genoux. « Il jeta ses mains autour de mon cou et m’embrassa chaleureusement. » David Hume ajouta : « Jugez de ma surprise. »
La réaction de Vladimir Nabokov au premier baiser amoureux qu’il reçut est stupéfiante. Cela se passait à Biarritz, sur la plage. Il venait d’avoir dix ans ; Colette, dont il était très épris, les aurait bientôt. « Un jour, tandis que nous nous penchions tous les deux sur une étoile de mer, que les anglaises de Colette me chatouillaient l’oreille, elle se tourna vers moi brusquement et m’embrassa sur la joue. Mon émotion fut si grande que je ne trouvai rien d’autre à dire que : “Espèce de petite folle” » (Premier amour).