Allemand

S’il est une famille bien française, parce que pas douée pour les langues, c’est la mienne. À commencer par moi qui, en anglais, avais des notes honorables à l’écrit et calamiteuses à l’oral. (Je parle toujours l’anglais comme une vache charolaise.) Nous avons cependant eine Ausnahme, une exception : Anne-Marie, ma sœur, professeur agrégée d’allemand.

C’est quoi, ce miracle, cette énigme ?

Revenu de cinq ans de captivité en Allemagne, mon père ne connaissait pas plus de vingt mots d’allemand. Ma sœur naquit en 1947, douze ans après moi, sept ans après mon frère. Un jour, devant ma mère enceinte, mon père dit : « J’espère que ce sera une fille et qu’elle sera professeur d’allemand. » Anne-Marie eut connaissance de ce vœu prophétique alors qu’elle enseignait déjà la langue de Goethe. Elle aurait pu choisir l’anglais. Un séjour en Allemagne alors qu’elle était lycéenne la fit basculer de l’autre côté du Rhin. Elle assure qu’elle n’était pas particulièrement douée pour les langues — enfin, plus que son père et son frère aîné, ce n’était pas difficile —, mais elle y prit du plaisir, s’obstina et réussit.

Cette vocation dissimulée, je l’explique par l’influence psychologique et génétique de mon père. Européen convaincu, il estimait que, pour éviter une nouvelle guerre entre la France et l’Allemagne, il fallait que les nouvelles générations des deux pays parlent la langue de l’autre. Ensuite, comment ne pas imaginer que dans le capital génétique transmis à ma sœur il y avait, héritage de ses cinq années de captivité dans des fermes et des stalags, un peu de l’Allemagne culturelle et éternelle cachée sous le nazisme ? La privation de liberté, l’éloignement de la France et de sa famille laissaient cependant dans le chagrin de cet homme bon une part d’admiration pour un peuple quand il n’est pas saisi par la folie criminelle.

> Famille

Загрузка...