Vécu

Nous suivions à pied le fourgon qui emportait lentement mon père pour sa dernière promenade. Je repassais dans ma tête les principaux épisodes de sa vie d’homme, de mari, de père. Si je ne pleurais plus, je portais ma tristesse comme une armure. Impossible de troubler ma méditation. Mais si ! Mes yeux se portèrent sur la plaque d’immatriculation arrière de la voiture mortuaire. Il y avait deux lettres : VQ. J’ai souri. N’eût été le passager du fourgon, je me serais esclaffé.

Je me suis demandé si la société des pompes funèbres, saisie par un humour noir, avait comploté avec la Préfecture pour obtenir ces deux lettres. Donner à la voiture un état civil en conformité avec sa fonction. Rappeler à la famille et aux amis que l’homme ou la femme transporté(e) avait vécu, participe passé du verbe vivre, et que c’en était maintenant fini. Peut-être aussi amuser un instant des personnes plongées dans l’affliction ? C’était réussi.

Il se peut également que la carte grise de cette grosse voiture noire ait été établie au moment où les services d’immatriculation distribuaient les VQ. En ce cas, le hasard aura été malicieusement réaliste.

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