Le gone est un gamin lyonnais comme le gavroche est un enfant de Paris. C’est un terme affectueux qui pouvait se teinter d’un peu d’ironie quand le gone, après avoir mangé beaucoup de rosettes (longs saucissons secs) et de clapotons (pieds de mouton en rémoulade), était trop vite monté en graine. Aujourd’hui, le mot désigne indifféremment, avec même une certaine sympathie, tous les Lyonnais de sexe masculin, qu’ils soient nés à Lyon ou qu’ils y habitent (depuis un nombre d’années qui vaut naturalisation).
Deux maximes de La Plaisante Sagesse lyonnaise :
« Les vrais bons gones, c’est ceux qu’ont des défauts qui ne font tort qu’à eux. »
« Pour ce qui est de la chose de l’amour, n’y sois pas regardant parce que, vois-tu, gone, que t’en uses ou pas, ça s’use. »
Ayant quitté Lyon depuis un demi-siècle, même si j’y fais des retintons (retours) avec un plaisir auquel se mêle de plus en plus de nostalgie, suis-je encore un franc gone ? Un bon gone, j’espère, comme le disait Marguerite, l’une des deux vendeuses de l’épicerie familiale.
Quartier de « gonesse » le plus recherché : les pentes ou le plateau de la Croix-Rousse. Mais les Brotteaux, Saint-Jean, le Gourguillon, Ainay, la Guillotière, etc., fournissent d’excellents labels.
Prix Goncourt 1922 pour Le Martyre de l’obèse, Henri Béraud est un Lyonnais de naissance et de bonne farine, la boulangerie paternelle se trouvant 8, rue Ferrandière, entre Rhône et Saône. « Nous autres, les gones, étions de la rue comme les petits croquants sont de la route. Nous y vivions. Nous y apprenions tout ce qui s’apprend hors de l’école, et que certains ne sauront jamais » (La Gerbe d’or).
Azouz Begag n’est pas moins lyonnais que Béraud. Lui aussi, mais soixante-douze ans après, a ouvert ses clinquets (yeux) dans la ville de Guignol et raconté son enfance dans un quartier périphérique de baraquements. « Me suis-je lavé le visage, ce matin ? Ai-je au moins passé mon pantalon ? Je porte les mains sur mes cuisses. Tout est en ordre, je ne suis pas sorti nu. Je peux continuer à marcher sur le chemin de l’école, avec les gones du Chaâba » (Le Gone du Chaâba).
Le pain et l’accent étaient meilleurs chez Béraud que chez Begag, mais des deux gones, peut-être est-ce ce dernier qui honore le mieux les légendaires qualités lyonnaises d’application, d’effort, d’opiniâtreté ?
Honoré de nombreuses fois par la Bourgogne (prix littéraires, présidences), de plus en plus lyonnais bourguignon, devant la confrérie des chevaliers du Tastevin, j’affirmai solennellement, un soir de banquet, que j’étais un « bourgone ».