Nécrologie

Un journaliste de radio m’a dit que je figure en tête de sa liste de noms à appeler à l’annonce de la mort d’un écrivain connu. Un premier coup de fil, et je sais qu’il sera suivi d’une dizaine d’autres. Comme on ne peut pas répéter plus d’une ou deux fois, spontanément, les mêmes banalités, le mieux est de ne plus répondre.

Pour Alexandre Soljenitsyne, j’ai fait une exception : j’ai répondu à toutes les radios et à tous les journaux — plus France 2 — qui m’ont sollicité. C’était le 4 août 2008. Difficile à cette date de joindre qui l’on veut. Alors que, le plus souvent, j’estime que de nombreuses personnes sont plus compétentes que moi pour évoquer la vie et l’œuvre du disparu, mes quatre entretiens avec l’écrivain russe me donnaient une légitimité que, sauf mauvaise foi, je ne pouvais contester.

Mais ça tombait mal. Je revenais seul, en voiture, de Saint-Tropez. Pour répondre, je me rangeai sur une aire de stationnement. Par chance, ce jour-là, la batterie de mon portable était gonflée à bloc. Quand le téléphone ne sonna plus, je repartis. Pour m’arrêter sur l’aire suivante ou dans une station parce que j’étais de nouveau sollicité. Et ainsi jusqu’à Lyon. Curieuse impression de revenir du Midi, bronzé, détendu, l’esprit léger, et de discourir sur Alexandre Soljenitsyne, rescapé de la guerre, du cancer, du goulag, sur son expulsion d’URSS, son exil aux États-Unis, son retour triomphal en Russie, sur les controverses idéologiques que l’homme et la dernière partie de son œuvre avaient suscitées. En short, chemisette et petites espadrilles d’été, j’étais dans une drôle de tenue pour rendre hommage à l’un des grands hommes du XXe siècle.

Pour la mort de Maurice Druon, annoncée le soir du 15 avril 2009, j’étais très à l’aise pour répondre pendant plus d’une heure que je n’en dirais rien. La dernière fois que nous nous étions rencontrés, il avait refusé de me serrer la main. Rancunier, il n’avait pas oublié une polémique qui nous avait opposés, douze ans auparavant, au cours des débats sur des « rectifications » à apporter à l’orthographe de la langue française. Lui tendre de nouveau la main était risqué : il pouvait, cette fois, faire usage posthumement de son épée d’Immortel.

Jean d’Ormesson et moi sommes tellement liés dans le souvenir d’Apostrophes que celui qui mourra le premier déclenchera chez l’autre des salves de sonneries téléphoniques.

Je crains pour mes confrères des radios, tant ils sont coutumiers de m’appeler dès qu’une figure de la république des lettres disparaît, que, le jour de mon décès, par habitude, ils ne me téléphonent pour me demander d’évoquer quelques souvenirs sur le défunt.

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