Douane

Jeune homme, puis dans la force de l’âge, avais-je une tête de trafiquant ou de mafioso ? Je ne pouvais pas franchir une frontière sans être fouillé. Que je passe devant les douaniers en baissant les yeux ou en arborant un air serein et détaché, il y en avait toujours un qui me demandait d’ouvrir ma valise.

À Otrante, à l’arrivée du charter du Club Med où j’emmenais l’une de mes filles, je fus le seul passager, sur cent soixante à peu près, que les douaniers italiens suspectèrent. La fouille se déroula devant tout l’avion. Les gens m’ayant reconnu, car c’était du temps d’Apostrophes, s’amusèrent qu’un sort malicieux m’eût désigné. Ils rigolèrent franchement quand les douaniers, étonnés que leur travail remportât autant de succès, tirèrent de ma grosse valise des slips, des shorts, des maillots de bain, des chaussettes, des tee-shirts, et beaucoup de livres.

Pour une partie de pêche au Canada, via l’aéroport de New York, Pierre Perret m’avait chargé d’emporter des boîtes de foie gras fait maison. Je ne lui avais pas caché mes craintes d’être pincé à la douane américaine. On décida de tenter l’aventure. Bien entendu, il me fut demandé d’ouvrir mes bagages. Toutes les succulentes boîtes qui devaient accompagner nos casse-croûte de pêcheurs furent saisies.

La plus amusante de mes aventures douanières eut lieu quand j’étais jeune journaliste au Figaro littéraire. Le rédacteur en chef m’envoya à Bruxelles pour faire un reportage sur le théâtre de la Monnaie. J’y allai en voiture, faisant une halte à Leforest, petite ville du Pas-de-Calais, berceau, comme on dit, de la famille de ma femme. C’était la saison des pommes de terre, et mon beau-père, dans un acte de générosité, en récolta une trentaine de kilos qu’il mit dans un sac, le sac dans le coffre de ma Dauphine. Je me récriai contre les dangers d’affronter la douane belge avec ce chargement. Mais mes craintes lui parurent excessives et, comme je reviendrais en France par une route plus directe, je cédai et partis avec mes patates.

C’était fatal : un douanier belge me demanda d’ouvrir le coffre de ma voiture. L’énorme sac de pommes de terre le laissa stupéfait. Il appela deux ou trois de ses collègues pour partager son étonnement et participer à mon ironique interrogatoire. « Journaliste, vous faites le trafic de pommes de terre entre la France et la Belgique ?

— C’est pour votre consommation personnelle pendant votre séjour à Bruxelles ?

— Vous avez craint de manquer de pommes de terre chez nous ?

— Ignorez-vous que notre pays est un gros producteur et consommateur de frites ?

— Vous pensiez faire un cadeau au directeur du théâtre de la Monnaie ? »

Humilié, je riais jaune.

L’entrée en Belgique avec mes patates me fut donc interdite. Je voulus les abandonner entre les mains des douaniers. Puis je décidai de retourner à Leforest pour prouver, glacial, en déchargeant le sac, que, ainsi que je l’avais annoncé, ce voyage en Belgique avec des pommes de terre était idiot. Surtout quand on a une tête de suspect.

Du temps qu’il était éditeur, Jean-Claude Lattès a fait une centaine d’allers-retours entre Paris et New York. Jamais contrôlé en Amérique, il ne l’a été qu’une seule fois à Roissy-Charles-de-Gaulle. Le douanier a découvert dans ses bagages une affiche. Jean-Claude en avait la facture. On lui a fait payer une taxe de 20 % sur le prix. J’avais acheté cette affiche à New York et je lui avais demandé de me la rapporter.

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