Amant

L’amant a malheureusement une maîtresse. Le mot amant serait, avec amour, le plus beau mot de la langue française s’il n’avait comme équivalent, complément, corollaire féminin, ce vulgaire mot de maîtresse.

Un amant est un homme qui aime une femme, qui en est aimé, et qui a avec elle des relations sexuelles. Si cette femme est libre, on dira d’elle, de même si elle est mariée, qu’elle est sa maîtresse. Quelle que soit sa situation de famille, dès lors qu’une femme entretient des rapports intimes avec un homme qui n’est pas son mari, elle est désignée par la vox populi comme sa maîtresse. On emploie aussi avec gentillesse et hypocrisie les mots amie, petite amie, copine, et surtout compagne, terme devenu presque officiel, parce qu’on sent bien que maîtresse a une connotation péjorative. Mais ces mots ne cachent pas le statut consacré par l’usage de maîtresse de l’homme aimé en cachette ou au grand jour.

L’homme, lui, a le bon mot : amant. Marié ou pacsé, il devient l’amant ; célibataire, il est naturellement l’amant. L’affubler de synonymes banals comme compagnon, de plus en plus employé, ami, petit ami, copain, est une échappatoire. Rien ne peut égaler la beauté, l’énergie sentimentale, la virilité du mot amant. Pourtant, peu de femmes osent dire : « Permettez-moi de vous présenter A., mon amant. » Et peu d’hommes ont la sincérité crâne d’annoncer qu’ils sont l’amant de…

Amant est un mot si éclatant, si fort, si charnel, si troublant, si audacieux que les amants éprouvent eux-mêmes quelque embarras à le prononcer. Il relève du domaine privé, surtout écrit. « Mon bel amant… Amant de ma vie… Mon amant chéri… Mon amour, mon amant… Mon amant de si longue mémoire… » Ou bien il figure dans les journaux à la rubrique des faits divers. Il est incontournable dans la littérature : biographies, romans, poésie.

« Amants, heureux amants, voulez-vous voyager ?

Que ce soit aux rives prochaines… »

La Fontaine,

Les Deux Pigeons

Valery Larbaud a repris ces Amants, heureux amants… pour en faire le titre d’un recueil de trois nouvelles qui peignent l’amour sous un jour mélancolique, sans illusions. L’Amant de lady Chatterley, de David Herbert Lawrence, et L’Amant, de Marguerite Duras, racontent la découverte du plaisir sexuel par des femmes que la passion oblige à affronter les interdits sociaux et le scandale.

Conclusion : amant est un mot magnifique, mais dangereux, moralement suspect, à cause de sa charge spermatique, de sa finalité jouissive, des désordres familiaux et sociaux qu’il provoque.

Il est logique qu’amant ait un féminin. Hélas ! amante est un mot qui n’est pas employé. On le rencontre sous la plume de Racine, de Proust, dans les Mémoires des XVIIe et XVIIIe siècles. En dépit de L’Amante anglaise, de Marguerite Duras, de Michel Houellebecq qui l’utilise plusieurs fois dans son dernier roman, La Carte et le Territoire, amante n’a pas réussi à s’imposer dans le langage populaire, sauf chez les lesbiennes. On lui a préféré maîtresse, qui sent la férule et qui est dépourvu de grâce et d’amour. Ou compagne, qui est banal, qui fait routarde. Amante n’est même pas utilisé pour désigner une femme tout simplement amoureuse. Pourquoi ce dédain, ce rejet d’un joli mot qui a une évidente légitimité, même si l’amante en est civilement dépourvue ?

À propos…

Sur la différence entre mari et amant, Balzac, comme souvent, d’une phrase est allé au vrai : « Il est plus facile d’être amant que mari par la raison qu’il est plus difficile d’avoir de l’esprit tous les jours que de dire de jolies choses de temps en temps » (Physiologie du mariage).

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