Incompétence

« Dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s’élever à son niveau d’incompétence. » Cela s’appelle le « principe de Peter ». On en mesure le bien-fondé, on en apprécie la justesse tous les jours autour de nous, dans les entreprises publiques et privées, et s’il est un domaine où sa pertinence est éclatante, c’est bien évidemment dans la distribution des responsabilités politiques. Non que tout ministre soit incompétent. Comme tous les principes, celui de Peter admet quelques exceptions. Mais, en règle générale, si tout va toujours mal, c’est au nom de la lumineuse découverte de L.J. Peter, énoncée dès 1969 à New York, en 1970 en France. Il faut la redire parce qu’elle est la vérité même : « Dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s’élever à son niveau d’incompétence. » Et son corollaire : « Le travail utile est toujours effectué par des individus qui n’ont pas encore atteint leur niveau d’incompétence. »

Le principe de Peter est resté gravé dans ma tête. Il est plus présent dans ce qui me tient lieu de conscience que les dix commandements de Dieu ou les dix-sept articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ainsi, lorsque mon nom fut avancé pour prendre la direction d’une chaîne de télévision du service public, je refusai aussitôt. Sans prononcer le nom de Peter, qui est un gentleman discret et de toute façon inconnu de nos dirigeants, mais en avançant avec force et conviction que je ne possédais aucune des qualités qui auraient justifié la confiance qui m’était accordée. Que pour ce poste on ait songé à moi qui déteste le pouvoir, et plus encore les nombreuses et interminables réunions qui en sont le fatal accompagnement, n’était-ce pas la preuve que ceux qui en avaient eu l’idée étaient eux-mêmes des illustrations du principe de Peter ?

Je n’hésite jamais à invoquer mon incompétence pour refuser de participer à un débat ou de répondre à une interview. Le plus souvent, c’est vrai. Ou, si je ne me sens pas totalement étranger au sujet, je rétorque qu’il existe beaucoup d’autres personnes dont les lumières sur la question sont plus sûres et que leur présence serait plus souhaitable que la mienne. Rien n’est plus navrant que de se retrouver sur une tribune, sur un plateau ou dans un studio, avec l’impression que la conversation va justifier le regret de n’être pas resté chez soi.

Enseigne-t-on le principe de Peter aux énarques et aux normaliens ? On est en droit d’en douter. Peut-être est-il même préférable qu’ils restent dans l’ignorance de son existence. Où qu’ils soient, n’éprouvent-ils pas naturellement de la méfiance pour leurs inférieurs, soupçonnés de vouloir prendre leur place, et du mépris pour leurs supérieurs, qu’ils jugent inaptes à leurs fonctions, et qu’ils encouragent à en accepter de plus importantes pour s’installer dans leurs fauteuils ?

Pendant longtemps le principe de Peter a fonctionné à l’ancienneté. Par le jeu naturel des retraites et des promotions, il arrivait enfin, ce jour où l’employé, devenu cadre, occupait le poste où il allait désormais prouver son incompétence.

Le principe de Peter se manifeste à notre époque avec plus d’âpreté. On ambitionne ouvertement de monter le plus vite possible dans la hiérarchie. Question de standing et de salaire. L’époux ou l’épouse encourage le grimpeur. Le mieux est d’arriver à sauter plusieurs échelons jusqu’à celui où il pourra continuer de faire un travail utile, puis de parvenir au poste convoité, prestigieux, où son incompétence sera reconnue et bien rétribuée.

> Impatience

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