Ah !

Il y eut une période où les dirigeants de la télévision publique trouvaient illogique que, pendant les vacances d’été, le petit écran ne diffusât pas d’émissions littéraires. Les Français ont alors le temps de lire ? Eh bien, proposons-leur des livres ! C’est ainsi que Marcel Jullian, puis Claude Contamine me demandèrent de prolonger Apostrophes, sous une forme différente, pendant le mois d’août. De 1976 à 1980, je fis donc Ah ! vous écrivez ?, entretiens de vingt à trente minutes, avec le plus souvent des romanciers enregistrés à leur domicile.

Ce « Ah ! » suivi de la question « vous écrivez ? » exprimait à la fois la surprise et l’admiration de qui se trouve devant une personne qui lui révèle une ambition d’écrivain. Ah ! je ne savais pas que vous écriviez, on ne me l’avait pas dit, je ne m’en doutais pas, mais je suis ravi de l’apprendre, je suis heureux pour vous, et je suis impatient de vous lire…

Aujourd’hui on ne mettrait pas de point d’exclamation derrière le ah !. On se contenterait d’une virgule. Ah, vous écrivez ? Mais j’aime bien le point d’exclamation qui donne au ah ici plus de surprise, plus d’admiration, et qui, ailleurs, ajouterait de la douleur, de l’impatience, de la colère, de la crainte, du dégoût, du plaisir… Ah ! et oh !, petits par la taille, sont de grands comédiens qui peuvent interpréter toute la gamme des sentiments. Et quand on les double, ah ! ah ! oh ! oh ! ils deviennent de magnifiques et tonitruants Fregoli.

À propos…

Parmi les écrivains qui passèrent à Ah ! vous écrivez ? — Henri Thomas, Dominique Rolin, Anne Philipe, Maurice Grevisse, Alexandre Zinoviev, Christine de Rivoyre, François-Régis Bastide, Philippe Soupault, Yves Navarre, etc. — , il y en eut trois dont je garde un souvenir particulier :

• Ernesto Sabato, que j’avais enregistré clandestinement pendant la Coupe du monde de football en Argentine, en 1978. C’était un opposant déclaré, surveillé, de la sanglante junte militaire au pouvoir.

• Serge Gainsbourg, pour son roman Evguénie Sokolov. Entretien apparemment sérieux et complètement déjanté.

• Erik Orsenna, dont ce fut la première apparition à la télévision pour son deuxième roman, La Vie comme à Lausanne. Il habitait 50, rue de Sèvres, escalier au fond de la cour, cinquième étage sans ascenseur. Les techniciens râlèrent de devoir monter si haut un matériel qui, à l’époque, surtout les caméras, pesait très lourd. « La France battra la Bulgarie par trois buts à un », me dit-il avec conviction. Quelques jours plus tard, le match confirma son pronostic. Il eut par la suite d’autres occasions, dans d’autres domaines que le football, de m’impressionner.

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