Dans le Beaujolais, ainsi que dans le Mâconnais et le Chalonnais, la cadole est une cabane située au milieu des vignes. Construite en dur, avec sur le toit des tuiles rouges ou des tôles ondulées, elle était assez grande pour que le vigneron y range ses outils, sa sulfateuse, et même sa charrue. Les tracteurs en ont fortement réduit l’utilité, de sorte que beaucoup de cadoles ont disparu du paysage. Il en reste cependant assez pour entrer dans des circuits touristiques.
Dans la cadole du petit vignoble familial, j’ai passé, du 27 au 28 juillet 1944, une nuit comme de temps en temps les enfants en raffolent : étrange, désordonnée, rieuse, peccamineuse, hors du temps et dans un lieu inconfortable. Pourtant les circonstances étaient tragiques. Vers vingt heures trente, deux avions allemands avaient bombardé et mitraillé la petite ville de Beaujeu, distante de notre hameau d’environ quatre kilomètres à vol d’oiseau. Trois morts, des blessés, des maisons détruites. Nous regardions et nous entendions, non sans frayeur, les avions faire des cercles dans le ciel, tout à coup piquer ou lâcher leurs bombes.
Ma mère décréta qu’ils pourraient revenir la nuit, se tromper de cible et anéantir notre maison et nos vies. Elle décida que nous passerions la nuit dans la cadole où nous serions plus en sécurité. Le commis de la ferme nous aida à transporter de vieux matelas sur lesquels dormaient les vendangeurs, ainsi que de légères couvertures pour une nuit d’été. J’avais neuf ans, mon frère quatre, et nous accompagnait, outre ma mère, une petite Lyonnaise de mon âge qui était réfugiée chez nos amis vignerons.
Ce fut une nuit pleine d’étoiles et sans avions. Sous le regard toujours inquiet de ma mère, nous avons joyeusement pique-niqué sur l’herbe d’un charroir, sentier qui sépare deux vignes. Nous avons fait les lits à la diable sur la terre battue de la cadole, les matelas serrés les uns contre les autres. En dépit des remontrances et des menaces de punition, nous avons, la petite fille et moi, chuchoté, ri, nous nous sommes frôlés, chatouillés, mamourés jusqu’à une heure où la cadole, la porte ouverte, laissait entrer un peu de fraîcheur et l’illusion de la paix.