Ambition

En dehors de rêveries d’adolescent où je m’imaginais écrivain ou joueur de football, je n’avais aucun désir assez fort qui ressemblât à de l’ambition. De mes médiocres résultats scolaires je ne pouvais nourrir grand-chose. C’est un lointain parent par alliance qui, me voyant souvent le nez dans des quotidiens ou des revues, me suggéra de devenir journaliste. Je me présentai au concours d’entrée du Centre de formation des journalistes. À ma surprise, je fus admis. Cela me paraissait tellement miraculeux que je me demandai, en arrivant à Paris pour suivre les cours de la première année, si l’école n’allait pas s’apercevoir très vite qu’elle s’était méprise sur mes capacités.

Aussi, remontant à pied, avec ma valise, la rue de Lyon, je décidai de ne pas m’éloigner de la gare. Je louai une chambre mansardée, peu chère, au City Hôtel, d’où je pourrais rejoindre sans tarder la gare de Lyon si l’affaire tournait mal. Ce n’est qu’en deuxième année du CFJ, enfin sûr de moi, que je m’enfonçai dans Paris pour prendre une chambre à proximité de la rue du Louvre.

Devenu un étudiant brillant, je sortis deuxième de ma promotion. Ce classement m’autorisait à briguer un stage dans un journal parisien. Je n’en eus même pas l’idée. Lyonnais, je retournerais à Lyon. C’était mon destin. J’entrai au Progrès où, si je fis quelques articles, pour l’essentiel je mettais en pages les papiers et les photos des correspondants du département de Saône-et-Loire. Quatre mois après, je me brouillai avec la direction du journal, celle-ci refusant de me libérer pour un stage rémunéré dans les institutions économiques et financières du pays. Car j’eus l’ambition de devenir un journaliste spécialisé dans l’économie. Quelle idée saugrenue ! Alors que Michel Tardieu, mon camarade de promotion, campait avec bonheur à la Caisse des dépôts et consignations, à la Banque de France ou à l’Insee, je m’y ennuyais à mourir.

Grillé à Lyon, il me fallait bien envisager de faire carrière à Paris. On sait que par une chance réellement extraordinaire j’entrai au Figaro littéraire. La chance n’a cessé ensuite de m’accompagner. Elle m’a tenu lieu d’ambition. Mes articles du Figaro littéraire et du Figaro m’ont valu d’être appelé à France Culture par Roger Vrigny, puis à Europe 1, après quoi mes chroniques de radio, associées à mes activités de journaliste spécialisé dans le livre, ont déclenché chez Jacqueline Baudrier, directrice de la première chaîne, conseillée par Yves Berger et Pierre-Jean Rémy, le désir de me confier une émission littéraire à la télévision. Tout cela s’est enchaîné sur quinze ans sans que j’eusse jamais à tirer des sonnettes. C’est à n’y pas croire !

Ce portrait d’un homme sans ambition, qui ne doit sa réussite qu’à sa bonne étoile, est cependant en partie faux. Car si je n’ai jamais manifesté d’ambition à long terme, avec plan de carrière et postes à conquérir, chaque fois qu’une nouvelle responsabilité m’était proposée, j’y déployais une telle ardeur, tant de combativité, que cette volonté de réussir relevait évidemment de l’ambition. Par le travail je voulais justifier la confiance qui m’avait été accordée et me prouver que j’étais capable de relever le défi. Une idée fixe, une énergie implacable : je devais être irréprochable, efficace, talentueux. Le meilleur.

Mon ambition n’a jamais été tournée vers l’avenir. Elle s’est toujours concentrée, de semaine en semaine, sur le présent.

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