Chatoyant, ante

Chatoyant, ante : qui chatoie, qui change de reflets suivant l’éclat et l’inclinaison de la lumière. Assez rarement employé, cet adjectif, si je le rencontre au cours d’une lecture, m’évoque aussitôt Vladimir Nabokov. Chatoyant était l’un de ses mots français favoris. Il le prononçait avec gourmandise, presque volupté, le détachant bien du reste de la phrase. Il en articulait les trois syllabes comme s’il les chantait, cha-toy-yant, la dernière plus encore si c’était la féminine — yante. Elle devenait alors une note prolongée.

Quand j’étais allé voir Nabokov dans le vieux palace de Montreux, où il vivait à demeure, pour le décider à venir à Apostrophes, j’avais été interloqué, tandis que nous prenions le thé avec son épouse, de l’entendre dire « chatoyant » à propos de je ne sais plus quoi. Les arbres du parc ? Le service à thé ? Les couleurs de Paris ? La littérature ?

Je ressentis déjà moins d’étonnement, bien qu’étant tout aussi émerveillé, lorsqu’il employa son chatoyant adjectif pendant l’émission. Il évoqua les mauvais lecteurs et les bons lecteurs, ceux-ci apercevant tout à coup « une phrase chatoyante ».

Dès la troisième page de Lolita (dans la traduction de Maurice Couturier, 2001), les bons lecteurs remarquent le cher adjectif nabokovien : « J’étais un enfant heureux et en bonne santé, et je grandis dans un monde chatoyant de livres illustrés, de sable propre, d’orangers, de chiens affectueux, de perspectives marines et de visages souriants. »

Et même les commentateurs ou exégètes de Nabokov succombent à sa chatoyante influence. Ainsi George Steiner, dès le début de son portrait : « Ce virtuose de l’imaginaire n’imagine, au fond, que le chatoyant cortège de ses travaux et de ses jours » (Chroniques du New Yorker).

À propos…

Vladimir Nabokov avait un regard d’architecte-décorateur et un œil de peintre. Il donnait à voir, en particulier les couleurs. Entre autres mots se rapportant aux coloris, il aimait aussi beaucoup bigarrure et bigarré.

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