Femme (1)

J’ai connu une femme qui envoyait des fleurs pour leur anniversaire à chacun des maris et amants qui s’étaient succédé dans sa vie, et qui mourut ruinée par Interflora.

J’ai connu une femme dont l’oreille musicale était si fine qu’elle décelait les mensonges de son mari et de ses enfants, non pas à travers les mots qu’ils prononçaient, mais au son de leur voix.

J’ai connu une femme, très chrétienne, qui consolait les maîtresses de son mari dès qu’il les avait abandonnées et qui, s’il en était besoin, assurait auprès d’elles une sorte d’assistance sociale post-adultère.

J’ai connu une femme sentimentale comme un morceau de sucre, dont l’ami le plus proche était snob comme une petite cuillère.

J’ai connu une femme qui faisait volontiers l’amour quand elle avait des migraines, celles-ci disparaissant à l’acmé de sa jouissance.

J’ai connu une femme qui lisait chaque soir à son enfant un poème de Verlaine, de Rimbaud, de Baudelaire, d’Eluard, d’Aragon, etc., et qui fut surprise quand il lui dit : « Celui-là, c’est le plus beau, c’est celui que je préfère. » Elle en était l’auteur.

J’ai connu une femme qui, pour imposer son point de vue, pour asseoir son conseil, disait joliment : « Comme l’écrivait Mme de Sévigné à sa fille Mme de Grignan : “Fiez-vous à moi, je m’y connais.” »

J’ai connu une jeune fille, son père étant milliardaire, d’une rare beauté, d’une intelligence si pointue qu’elle était au lycée première dans toutes les matières, et d’un caractère si aimable qu’elle avait été élue déléguée de sa classe.

J’ai connu une femme qui ne rêvait pas d’être l’épouse de Michel Platini, de Dominique Rocheteau ou d’Oswaldo Piazza, mais qui rêvait d’être Michel Platini, Dominique Rocheteau ou Oswaldo Piazza.

J’ai connu des femmes qui avaient des dons pour la musique, pour l’écriture, pour la comédie, pour les arts, pour les affaires, et qui, parce qu’elles n’avaient pas cru en elles, parce qu’elles avaient été mal orientées, parce qu’elles étaient tombées amoureuses d’un homme égoïste et macho, parce qu’elles avaient été trop vite en charge d’enfants, réalisèrent un jour, avec amertume, qu’elles étaient des femmes inaccomplies.

J’ai connu une femme qui, selon le mot de Simone de Beauvoir à propos de Germaine de Staël, « menait aussi rondement une grossesse qu’une conversation ».

J’ai connu une femme qui s’était fait mettre enceinte pendant certain week-end de fertilité et de lune ascendante, dans un lit orienté est-ouest, au septième étage d’un hôtel de la baie des Anges, et qui obtint de donner naissance à son enfant dans un lieu, au jour et à l’heure où le mouvement des planètes lui promettait le meilleur.

Загрузка...