Jeunesse

Les grands romanciers ont eu une jeunesse très romanesque. J’aurais bien voulu devenir un grand romancier, mais comment faire, ma jeunesse ayant été calme et ordinaire ? Tous les jeunes gens dont les premières années ont été compliquées, sombres, originales ou aventureuses ne deviennent pas de bons écrivains. Mais observons que l’adversité ou la singularité dans les débuts de l’existence, ça aide, ça donne plus tard du talent à ceux qui ont choisi d’écrire.

Exemple : Marguerite Duras. Naître en Cochinchine d’une mère veuve d’un monsieur nommé Obscur, et d’un père qui s’appelle Donnadieu et qui meurt alors qu’elle n’a que sept ans, ce n’est pas de la chance dans une biographie d’écrivain ? Et cette mère grugée qui se fait refiler, au bord du Pacifique, contre vingt ans d’économies, des terres impropres à la culture du riz, ça n’est pas excellent pour le tonus revanchard, moral et artistique d’une adolescente ? Et avoir eu, encore mineure, des amants chinois, ça ne fouette pas le sang et la littérature ? Ah ! si j’avais passé mon enfance et mon adolescence en Indochine plutôt que dans le département du Rhône, quel écrivain eussé-je été !

Jean-Marie Gustave Le Clézio, lui, est né à Nice. Pas très original. De qui tient-il le vagabondage de ses pas et de son stylo ? D’une famille de Bretons établis à l’île Maurice ; de chercheurs d’or, d’ailleurs et de beauté ; d’un père résidant au Nigeria dont il fit la connaissance à l’âge de huit ans après un voyage de quatre semaines à bord du Surabaya. De l’ancre à l’encre, c’était fatal. Où, quand, comment aurais-je pu naviguer entre Saint-Symphorien-de-Lay, le village de mon père, et Quincié-en-Beaujolais, le village de ma mère, séparés, via Lyon, par le très modeste col du Pin-Bouchain et, via Thizy, par le col touristique des Écharmeaux ? Du nomadisme dans un mouchoir ! De la bougeotte cantonale ! On embarquait, mais c’était pour une partie de pêche sur la Saône. Où étaient-ils, les Mauriciens, les Africains, les Indiens qui m’auraient jeté dans le roulis et le tangage du roman ?

Et comment ne pas envier le jeune Patrick Modiano, solitaire, mal aimé ? Une mère flamande arrivée à Paris, en 1941, dans les bagages des Allemands. Un père juif recherché par la police qui faisait des affaires louches avant, pendant et après la guerre. Du nanan pour un futur écrivain ! Alors que moi, pauvre de moi, je n’étais que l’enfant très aimé de deux petits Français qui descendaient l’un et l’autre de familles de paysans, même pas des lisières, mais du centre du pays… Le terroir et le cocon familial ne poussent pas au romanesque. D’une jeunesse sans histoire ne sort rien de bon pour la littérature.

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