Déménagement

Quitter une maison ou un appartement où l’on a été heureux, même pour prendre un logement plus spacieux et, on l’espère, plus agréable, est toujours une épreuve sentimentale. L’infidélité aux murs, l’adieu aux portes, aux fenêtres, à une certaine manière d’occuper l’espace, de s’y mouvoir, d’y dormir, de respirer un air, un confort, une esthétique, la rupture avec le temps qui se referme sur le déménagement, voilà qui serre un peu le cœur.

Mais il y a plus poignant : quand le couple se sépare et que l’un s’en va en abandonnant les lieux à l’autre. Une fois, je suis resté ; une autre fois, je suis parti.

Dans le premier cas, je n’étais pas fier. Elle masquait avec un calme orgueilleux sa douleur d’avoir choisi de s’en aller. Le déménagement était pour elle une terrible épreuve. Il l’était aussi pour moi qui en étais le responsable et qui, acta est fabula, assistais, apparemment impassible mais les tripes nouées, au démantèlement d’une longue intimité, à la destruction de notre cadre de vie. Je restais, mais je devrais maintenant cohabiter avec une squatteuse : la mauvaise conscience.

L’autre fois, quand c’est moi qui suis parti, j’étais seul, et, tandis que les déménageurs emportaient mes meubles et mes livres, je dialoguais avec la belle maison que nous avions bâtie ensemble et où j’avais été heureux. Il me semblait qu’elle partageait mon chagrin, qu’elle ne comprenait pas plus que moi les raisons de mon exil. De mes yeux je photographiais les murs, les escaliers, les placards, les rayonnages, la véranda, le jardin. Je chargeais ma mémoire du plus grand nombre possible d’images. Je me laissais une dernière fois envahir par le génie du lieu. Enfin, j’ai caressé le tronc de l’olivier qui lui avait été offert pour l’un de ses anniversaires, puis le chat Ulysse, et, sans me retourner, j’ai claqué la porte derrière moi.

Il y eut aussi cet appartement où, après plus de deux heures d’avion, j’ai vécu quelques week-ends enchanteurs. Je n’en étais plus l’invité quand elle le quitta pour habiter un autre pays. Sur son blog elle raconta avec des photos son attente des déménageurs au milieu des cartons. La dernière photo : le salon vide, les murs et le parquet nus. Seule présence : les branches des arbres derrière les deux fenêtres. Elle m’avait depuis longtemps passé par profits et pertes. Son appartement ne se souvenait plus de moi. Mais moi, parce que j’avais gardé dans l’œil de la patine et de la tendresse, j’étais très ému par cette escale maintenant désertée.

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