Quand j’entends les marchands de fruits et légumes du marché de la rue Poncelet vanter leurs « cerises extra » ou des « ananas de la Martinique extra », je pense aussitôt à mon père qui employait le même adjectif pour recommander les produits de son étalage : « Goûtez-moi ça, madame, c’est extra ! » Autrement dit, il n’y a pas mieux, c’est le summum de la qualité. Il écrivait aussi le mot suivi d’un point d’exclamation (« Extra ! ») sur une petite ardoise réservée le plus souvent aux fruits, en particulier les melons. Quant aux légumes, seuls les petites pommes de terre nouvelles et les petits pois avaient droit à la mention. (« Extra-fins » appliqué aux haricots signifie qu’ils sont très très fins.)
Quand extra qualifie des œuvres de l’esprit, j’aime moins. Un livre extra, un film extra… Il faut garder l’adjectif pour ce qui craque sous la dent, pour ce qui remplit la bouche de jus et de suc, pour ce que la nature nous offre de plus lichoux (friand, gourmand, dans le vocabulaire breton et normand). Je ferai cependant une exception pour une chanson extra. Léo Ferré s’est emparé de l’adjectif et, le sortant de l’épicerie, l’a hissé dans la poésie. Quand il chantait C’est extra, son visage pénombreux rayonnait de plaisir.
« Une robe de cuir comme un fuseau
Qu’aurait du chien sans l’faire exprès
Et dedans comme un matelot
Une fille qui tangue un air anglais
C’est extra
Un Moody Blues qui chante la nuit
Comme un satin de blanc marié
Et dans le port de cette nuit
Une fille qui tangue et vient mouiller
C’est extra, c’est extra… »