Hirondelle

On appelait hirondelles les agents à vélo et à pèlerine. Métaphore apparemment ironique car le vol des hirondelles est très rapide alors que le déplacement des pandores était poussif. Mais, quand ils appuyaient sur les pédales, la cape sombre flottant derrière eux ressemblait, paraît-il, à des ailes d’hirondelle. Le premier à oser la comparaison devait être un poète, ami de la police, qui avait bu.

On appelle encore hirondelles les resquilleurs de la culture : les personnes sans invitation qui parviennent à se glisser aux premières des théâtres, des cinémas, des music-halls, dans les vernissages, dans les coquetèles littéraires…

Les hirondelles des spectacles viennent pour le spectacle, alors que les hirondelles littéraires viennent pour le boire et le manger. J’ai beaucoup côtoyé celles-ci dans les réceptions des éditeurs et surtout dans les coquetèles des prix. Dans les années soixante et soixante-dix, les hirondelles les plus connues parce que le plus souvent présentes étaient une demi-douzaine de femmes et d’hommes assez âgés, plutôt sympathiques. Tout en engloutissant verres de vin et sandwiches (le matin), champagne et petits-fours (l’après-midi), ils manifestaient de la curiosité pour le résultat du scrutin et pour le lauréat, alors que rien ne les obligeait à jouer les journalistes qu’ils n’avaient jamais été, tout le monde le savait, même les serveurs. Toujours très proches de la table ou du bar, ils étaient parfois un peu bousculés par des éditeurs ou des confrères impatients de se rafraîchir, mais, sans jamais protester, ils s’écartaient juste assez pour reprendre leur position stratégique dès que les ayants droit s’étaient repliés un verre à la main. Ces scènes étaient une illustration concrète de ce que Julien Gracq a appelé « la littérature à l’estomac ».

La plus audacieuse des hirondelles était une vieille femme, toute de noir vêtue, qui portait un grand cabas. Très discrètement, elle s’emparait d’un plateau rempli de petits sandwiches ou de petits-fours et les faisait disparaître dans la gueule béante du sac. C’était un écureuil niché dans une famille d’hirondelles.

Il y a toujours des gens qui resquillent. Mais je n’entends plus parler d’hirondelles. Le mot dans cette acception est-il en train de disparaître ? Et pourquoi appelle-t-on ou appelait-on ainsi ces habiles personnes ? Quelle ressemblance avec les passereaux migrateurs ? Je donne ma langue au chat. Autrefois, les hirondelles, les vraies, étaient nombreuses à faire leur nid à l’intérieur des remises, des hangars et des granges sans porte ou qui restaient ouverts du printemps à l’automne. Impuissants, furieux, les chats levaient les yeux vers les poutres et les recoins du plafond en poussant de brefs miaulements plaintifs. Ils ne pouvaient espérer qu’en la chute accidentelle d’un oisillon.

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