Pas le bigoudi, la friandise.
Comme tous les enfants, il avait mis ses sabots devant la cheminée. Il n’espérait pas grand-chose du père Noël. C’était la guerre, et il n’était qu’un garçon de l’Assistance publique placé chez un couple de viticulteurs. Habitué aux taloches, aux réprimandes, aux rebuffades, en découvrant dans ses chaussures quelques papillotes au papier argenté, il manifesta une joie spontanée. Il se laissa aller à un instant de bonheur avant de savourer les douceurs, chocolats ou bonbons, promises par les papillotes. Mais, de la première, ouverte avec impatience, ne s’échappèrent que des crottes de bique…
Je n’ai jamais oublié les papillotes garnies aux excréments de chèvre parce que c’était la première fois que je voyais à l’œuvre la méchanceté humaine. Ce garçon était un peu plus âgé que moi et, moi qui avais reçu du père Noël — je feignais encore d’y croire par connivence amoureuse avec ma mère — des oranges et de vraies papillotes, je fus horrifié par un acte aussi pervers. J’en ressentis la moquerie et l’humiliation. Je saurais désormais distinguer la cruauté naturelle de l’homme — dont la manifestation la plus répandue est de tuer les animaux pour les manger — et la cruauté sans autre raison, sans autre dessein que de faire souffrir. La guerre n’était-elle pas aussi un effet de nos mauvais instincts ? Je ne crois pas que cela me soit apparu aussi clairement que les papillotes de Noël aux crottes de bique.
Les papillotes viendraient de l’Europe de l’Est. Dans la région Rhône-Alpes, où l’on en consomme plus qu’ailleurs, l’histoire ou la légende en attribue l’invention à un pâtissier lyonnais de la rue du Bât-d’Argent. Ou plutôt à son commis. Il chipait des chocolats qu’il entourait d’un billet galant destiné à sa bien-aimée. Le patron surprit le doux commerce, renvoya son commis, mais conserva son stratagème. Il s’appelait Papillot.
Une papillote est constituée d’un chocolat entouré d’un petit papier sur lequel est imprimé une blague, un rébus, un dessin humoristique, une devinette, une citation, une devise ou un proverbe. Le tout est placé à l’intérieur d’un papier de couleur, brillant, torsadé, frangé aux deux extrémités. C’est une parure de fête. Une friandise bling-bling. Sur les nappes qui recouvrent les tables de Noël et du jour de l’an, on fait des chemins de papillotes. On en glisse dans les serviettes. On en offre des sacs. On les ouvre autant par curiosité pour le message que par gourmandise pour les ganaches et l’enrobage des palets.
Les chocolats des papillotes n’ont jamais été aussi bons. Mais Révillon, le principal fabricant, a abandonné les blagues et calembours de l’almanach Vermot qui nous faisaient rire. C’était souvent, il est vrai, des plaisanteries misogynes. Les ligues féministes ont protesté. Maintenant, on nous sert des pensées de Pythagore, de Sénèque, de Pascal, de La Rochefoucauld, de Corneille, de Chateaubriand, de Molière, de Renan… Le Lagarde et Michard a envahi les papillotes.