Tache

La tache, altération colorée d’une surface, et la tâche, le travail, n’ont pas la même origine étymologique. L’accent circonflexe permet de les distinguer l’une de l’autre. Il y aurait moins de confusion si cet accent, comme un pâté, comme une éclaboussure, comme un rajout, s’appliquait symboliquement à ce qui modifie l’apparence des choses plutôt qu’à la besogne. Il eût été plus logique d’écrire des tâches de rousseur, des tâches de vin, la tâche originelle… Mais l’usage en a décidé autrement. La tache est sans tache.

Autrefois, on disait des jeunes enfants que la mort venait de frapper qu’ils étaient au ciel puisque leur âme était innocente, pure, sans tache. Jésus-Christ était représenté comme l’« Agneau sans tache ». Combien de réprimandes maternelles — « savons » serait plus en situation — pour des taches sur la chemise, le pull ou le pantalon ? On n’avait pas encore découvert les poudres de lessive qui lavent plus blanc que blanc. Puis il y eut les taches sur les cravates et sur les réputations.

Ces taches de sang sur le pavé du petit matin, tandis que l’eau glougloutait au bord des trottoirs et que les derniers badauds citaient des témoins du crime.

Ces taches de cambouis sur les mains après qu’elles eurent plongé dans le moteur récalcitrant de la voiture qui emmenait ses passagers à la réception du sénateur-maire.

Cette tache de sang sur les mains de lady Macbeth (« Va-t’en, tache damnée ; va-t’en, te dis-je ») que n’ôtera jamais aucun frottement, si énergique et désespéré soit-il.

Ces taches de sauce grand veneur, de chocolat, de fruits rouges et de bougie sur la nappe blanche que, le lendemain matin, l’Antillaise venue en RER du 93 regardait avec consternation.

À la bibliothèque de Florence, cette tache, un pâté, un gros pâté, que, comme un écolier maladroit, Paul-Louis Courier fit sur un passage inédit, qu’il avait miraculeusement retrouvé, d’un très précieux manuscrit des Pastorales, du Grec Longus.

Ces taches marronnasses, éphélides de la vieillesse, qu’avec une lente mais implacable détermination le temps dépose sur la peau des mains et du visage, trop exposés au soleil de la mort.

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