Sérénité

Comme je n’en ai guère, la sérénité est la qualité que j’admire et que j’envie le plus. Non pas la sérénité de ceux qui, irradiés par la foi, se sont retirés du monde ou s’y soustraient le plus possible pour dialoguer avec le silence. Mais la sérénité des battants, des vifs, des militants, des fonceurs, ou celle, plus discrète, de la multitude de femmes et d’hommes qui mènent une existence banale et qui vieillissent en réagissant avec équanimité aux petits bonheurs et aux gros chagrins.

On peut être agité intérieurement par des tempêtes et montrer un visage serein. Cela ne trompe pas longtemps. La quiétude jouée est à terme insoutenable. On est trahi par ses nerfs, par ses absences, par ses regards dans le vide, par des rires qui résonnent comme de fausses notes. La vraie sérénité se lit dans les yeux comme une page d’un livre de sagesse. Elle est impressionnante. Elle est éblouissante. Elle est rassurante. On a envie de toucher, de caresser un visage réellement serein.

On est d’autant plus impressionné quand on sait que la personne — ainsi une amie de longue date — a souffert dans sa chair et dans son cœur. Les coups durs ne l’ont pas épargnée. Elle en a bavé. L’indifférence, le fatalisme, la résignation, elle ne connaît pas. Elle a lutté. Elle s’est défendue. Elle a dû céder, il est probable, à des moments de colère ou d’accablement. Mais, très vite, mue par une paix qui vient de l’âme, de la méditation, et que l’expérience a fortifiée, elle a recouvré cette sérénité qui, dût-elle vivre jusqu’à cent ans, sera toujours pour elle une rente de beauté.

Tout compte fait, c’est à la télévision que j’aurai été réellement le plus serein. J’y affichais un calme, une maîtrise qui découlaient de mes responsabilités publiques et d’un travail intense de préparation. J’évoque ailleurs mon sang-froid sur le petit écran.

Dans la vie de tous les jours, une contrariété m’agace, une promesse non tenue me fâche, mes étourderies et mes maladresses me déstabilisent. J’ai toujours eu la volonté de me dominer, de prendre sur moi — j’y parviens, parfois —, mais, trop souvent, même si je n’en laisse rien paraître, quelque chose en moi se délite. Et, quand il s’agit de douleurs profondes, c’est la débâcle. Je suis incapable de retenir mes larmes. Les rares fois où j’ai accepté de prendre la parole au cours d’obsèques, des sanglots impossibles à refouler ont empêché l’assistance de comprendre ce que je disais.

Je ne mourrai pas dans la sérénité. Et, peut-être, cette fois sans embarrasser personne, dans mon cercueil, verserai-je pendant la cérémonie quelques larmes posthumes.

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