Mots gourmands dévoyés

Pourquoi avons-nous détourné beaucoup de mots gourmands pour leur faire dire des méchancetés ? La verve populaire s’est emparée du vocabulaire de bouche et en a fait des métaphores ironiques. On se régale de ces mots et on les recrache dans la raillerie. Pourquoi cette maltraitance lexicographique de la table ?

Voici une liste, incomplète sûrement, de ces substantifs gourmands dévoyés par l’argot, par le bagou du peuple, par la misogynie, par la dérision, par l’éternel besoin de jouer avec les mots.


Légumes

Navet : très mauvais film.

Salade : affaire embrouillée, confuse.

Chicorée : correction. Se chicorer = se battre.

Artichaut : avoir un cœur d’artichaut = avoir le cœur volage.

Asperge : femme grande et maigre.

Oignon : anus, cul. Se le faire mettre dans l’oignon = se faire duper.

Patate : individu lourdaud.

Chou : feuille de chou = journal médiocre, sans intérêt. Ne rien avoir dans le chou (tête) = être idiot.

Haricots : des clopinettes, des cacahouètes, c’est-à-dire rien. Travailler pour des haricots. La fin des haricots = la fin de tout.

Fayot : lèche-cul, rapporteur.

Carotte : carotter = voler, escroquer.

Pois chiche : avoir un pois chiche dans la tête = être stupide.

Courge : bêta, bêtasse. « Quelle courge ! »

Cornichon : homme idiot, stupide.


Viandes

Poulet : l’un des noms péjoratifs du policier. La maison Poulaga = l’ensemble des flics.

Poule : maîtresse (« C’est sa poule ! », vieilli) ; prostituée, « poule de luxe ». Poule mouillée = personne craintive, peureuse.

Volaille : groupe de femmes. « Caletez, volaille ! » = fichez le camp !

Dinde : femme stupide.

Dindon : homme dupé. « Le dindon de la farce. »

Pigeon : synonyme de dindon. Se faire pigeonner = se faire plumer, rouler.

Oie : jeune fille innocente et niaise, « une oie blanche » ; femme très sotte.

Lapin : poser un lapin = ne pas venir à un rendez-vous. Chaud lapin = homme porté sur les aventures sexuelles. Le mariage de la carpe et du lapin = union contre nature.

Mouton : mouchard dans le langage des prisons. Suivre comme un mouton = être docile. Personne crédule qui ne réfléchit pas. Mouton noir, mouton enragé, etc.

Brebis : toujours égarée ou galeuse.

Chèvre : faire devenir chèvre = faire enrager = faire tourner en bourrique (âne).

Bouc : toujours émissaire = chargé des péchés, donc responsable.

Cochon : dégoûtant, paillard, pornographique.

Porc : sale, grossier, infâme.

Vache : personne grosse, ou méchante, ou sévère. « Ah, les vaches ! » « Quelle peau de vache ! » « C’est très vache ! » « Mort aux vaches ! » (policiers).

Veau : personne sans caractère, avachie, dont on ne peut rien espérer.

Âne : individu sot et ignorant. Cancre. Bonnet d’âne dont on coiffait jadis les mauvais élèves.

Cheval : un grand cheval = femme masculine de haute taille.


Gibier

Bécasse : sotte.

Bécassine : jeune fille stupide.

Faisan : escroc.


Poissons

Maquereau : proxénète, mac.

Hareng : proxénète, mac. « Peau d’hareng ! », expression injurieuse.

Merlan : coiffeur. Proxénète. Faire des yeux de merlan frit = lever les yeux au ciel d’une manière ridicule, hypocrite.

Morue : prostituée.

Carpe : ignorant ou muet comme une carpe. Faire des yeux de carpe = avoir un regard inexpressif. Le mariage de la carpe et du lapin = union contre nature.

Limande : plate comme une limande = femme sans poitrine.

Requin : homme d’affaires vorace, impitoyable. « Les requins de la finance. »

Caviar : caviarder = censurer.

Grenouille : mare aux grenouilles = milieu politique ambitieux et affairiste. Le grenouillage. Grenouille de bénitier = bigote de la paroisse. Manger la grenouille = dilapider les économies.

Huître : personne stupide.


Cuisine

Farine : de la même farine = qui ne valent pas mieux les uns que les autres. Rouler une personne dans la farine = la tromper.

Pain : coup de poing, gifle.

Bouillon : boire le bouillon = avaler de l’eau en nageant, ou faire de mauvaises affaires. Bouillon d’onze heures = breuvage empoisonné.

Soupe : marchand de soupe = mauvais restaurateur ou cuisinier. Être soupe au lait = être coléreux. Un gros plein de soupe = homme ou adolescent très gros. Aller à la soupe, cracher dans la soupe, la soupe à la grimace, etc.

Purée : misère, panade.

Boudin : jeune fille petite et grosse. S’en aller en eau de boudin = péricliter progressivement.

Andouille : idiot. Faire l’andouille = faire l’idiot ou simuler la nigauderie.

Jambon : grosse cuisse.

Ratatouille : cuisante défaite, dégelée (> Ouille !).

Choucroute : chignon volumineux, assez ridicule. Pédaler dans la choucroute, s’activer inutilement. On dit aussi pédaler dans la semoule, la purée, le couscous, le yaourt, la compote…


Fruits

Pomme : personne crédule, un peu bébête. « Quelle pomme ! » Tomber dans les pommes = s’évanouir.

Poire : personne naïve, qui se laisse berner. « Quelle poire ! »

Noix : personne idiote. « Quelle noix ! » À la noix = à la con, sans intérêt.

Marron : coup de poing. « Recevoir des marrons. »

Châtaigne : coup de poing. « Ils se sont châtaignés. »

Prune : coup de poing. Contravention. Pour des prunes = pour rien.

Pruneau : projectile d’arme à feu. « Il s’est pris trois pruneaux dans le bide. »

Cerise : avoir la cerise = avoir de la malchance.

Guigne : petite cerise. Se soucier de quelqu’un comme d’une guigne = ne lui prêter aucune attention.

Fraise : sucrer les fraises = avoir les mains qui tremblent, être vieux et gâteux.

Banane : se prendre une banane = essuyer un échec. Glisser sur une peau de banane = se casser la figure. Mettre des peaux de banane = chercher à faire échouer quelqu’un.

Citron : prix citron = prix attribué au concurrent le plus antipathique.

Melon : tête. Prendre, attraper le melon = devenir fat, prétentieux (> Melon).


Fromage

Dans le langage argotique ou populaire, un fromage est une sinécure, un travail pépère qui rapporte gros.


Friandises

Caramel : coup de poing, coup de boule.

Chocolat : être chocolat = être dupé (> Chocolat).

Bonbon : cher. « Ça coûte bonbon ! » Testicules dans l’expression « casser les bonbons » = importuner.

Nougat : pied.

Tarte : gifle. « Tu vas l’avoir, ta tarte ! » Moche. « Elle est très tarte ! » Pas dégourdi, ridicule, tartignolle. Tarte à la crème = sujet rebattu.

Brioche : estomac renflé, gros ventre. Bedaine.


Est-ce pour se punir de leur appétit et de leur cuisine raffinée que les Français ont détourné, non sans vulgarité, tous ces mots gourmands ? Qu’ils leur ont fait exprimer de la violence, de la dérision, de la rosserie ? Il y a du chrétien dans cette dévalorisation des choses et des mots appétissants. Toujours se rappeler que la gourmandise est un péché. Que nous devons avoir la contrition de nos voluptés. Rabaisser, humilier, vulgariser les mots de la table participe de cette nécessaire mortification.

À propos…

Par bonheur, il est des mots gourmands qui sont détournés dans le bon sens, en particulier l’amour, la tendresse. « Mon chou », « mon lapin », « mon petit poulet », « ma poule », etc. Les amants « se sucent la pomme ». Aux pommes = c’est parfait. Aux petits oignons = épatant, très bien. Un effet bœuf = puissant, efficace. Le blé, l’avoine, l’oseille, c’est de l’argent. Le poireau = Mérite agricole. Prix orange = prix accordé au concurrent le plus sympathique. L’ourlet d’une jupe « à ras le bonbon » flirte avec le clitoris. Enfin, la petite chose en plus, le bonus de la réussite = la cerise sur le gâteau.

Загрузка...