Ortolan

Le célèbre « Et nous donc ? Crois-tu que nous mangions des ortolans ? » de Balzac (Les Ressources de Quinola) suffit à prouver que l’ortolan est depuis longtemps un oiseau coûteux, recherché des gourmets, et servi en de rares occasions. La plupart des Français, sauf ceux du Sud-Ouest et de la festive société parisienne, n’en ont jamais mangé. Interdit de chasse et de vente, l’ortolan a même disparu — officiellement — de la table. La prohibition, son commerce clandestin et sa consommation locale entre initiés ajoutent une saveur sauvage à l’explosion de sucs produite par la lente mastication du petit oiseau enfourné d’un coup, tout entier, dans la bouche. Il n’en reste rien, hormis les minuscules tête et bec que les délicats montrent quelque réticence à introduire dans leur propre bec, avec le corps du délit.

L’ortolan est le contraire de l’artichaut dont les reliefs forment une montagne. L’ortolan est un oiseau propre qui ne laisse rien derrière lui.

Pourtant, La Fontaine a écrit dans la fable Le Rat de ville et le Rat des champs :

« Autrefois le Rat de ville

Invita le Rat des champs,

D’une façon fort civile,

À des reliefs d’ortolans. »

Plus loin, le fabuliste parle d’un festin, et même d’un festin « de Roi ». Il y a donc eu à manger. Du très bon, et suffisamment pour que le Rat des champs se sentît honoré et comblé par l’invitation. Cela prouve, premièrement, qu’au XVIIe siècle l’ortolan était déjà un gibier pour menus exceptionnels et, deuxièmement, qu’on ne le mangeait pas avec notre expéditive voracité. On devait en lever les filaments de chair avec un soin fort méticuleux. Revenaient aux rats la tête, le bec, les pattes, les petits os et la chair restée attachée, le gésier retiré avant la cuisson, et tout ce que les seigneurs et maîtres, blasés, repus, abandonnaient dans l’assiette, peut-être des ortolans entiers. Chez son protecteur et ami Fouquet, La Fontaine avait appris les usages de la grande cuisine.

À propos…

À l’ortolan, Brillat-Savarin préférait le becfigue, passereau migrateur qui doit sa chair savoureuse aux fruits, en particulier les figues, qu’il consomme avec une gourmandise effrénée.

Le becfigue était aussi le petit oiseau préféré du roi de Naples, nous apprend Alexandre Dumas dans son Grand Dictionnaire de cuisine. Lorsqu’un vol se posait non loin de son château, on devait aussitôt l’en avertir, la chasse ayant une priorité absolue sur toutes ses autres activités. Un jour, il tenait conseil sur la décision d’engager une guerre ou non contre la France — la reine était pour, il était contre — quand on l’informa qu’un « magnifique vol de becfigues venait de s’abattre à Capodimonte ». Aussitôt, il planta la reine et les conseillers. La guerre faillit lui coûter son trône.

Загрузка...