Le cardon est à la bette (ou blette) ce que le lièvre est au lapin d’élevage : beaucoup plus goûteux. Le cardon est un haut et volumineux légume d’automne cultivé surtout en Provence et dans la vallée du Rhône. On le fait étioler, c’est-à-dire blanchir, en l’enfermant dans des caves ou des galeries souterraines où il est privé de lumière. Dans mon enfance on mangeait les premiers cardons pendant les fêtes de fin d’année. Il est maintenant sur les marchés beaucoup plus tôt. Les circuits de blanchiment, du cardon comme de l’argent, battent des records de rapidité.
La cuisine lyonnaise en a fait un légume gastronomique. Gratiné avec une sauce blanche, au jus de viande ou à la moelle, son amertume procure un vif plaisir. Ma mère servait toujours ses cardons gratinés — elle leur ajoutait in fine de la moelle — avec une volaille ou une pièce de bœuf au jus généreux et odorant. Les cuisinières ont du mérite à éplucher les côtes de ce légume ligneux, car leurs doigts deviennent tout noirs. Il faut longtemps et souvent les frotter pour qu’ils retrouvent leur couleur naturelle. Plus besoin aujourd’hui aux femmes (et aux hommes) d’éplucher les cardons et de donner ainsi une réelle preuve d’amour à leur famille : on les trouve en conserve. Mais rien ne vaut leur exubérante fraîcheur du marché.
En Beaujolais, non seulement on enfermait les cardons durant l’hiver dans les caves, mais, pour qu’ils deviennent très blancs, on les entourait aussi de paille. D’où l’ironique expression, au début de l’été, quand les hommes et les ados dénudent leurs gambettes toutes pâlottes : « Tu as dépaillé les cardons ? »