Écrivain (1)

On ne le devient pas, on naît écrivain. L’encre précède l’existence. Le Mac précède les nouveaux Balzac. On ne sait pas pourquoi des hommes et des femmes attrapent des gènes bizarres qui se sont fait la tête de Proust, de Camus ou de Duras. Un soir, vers l’âge de huit ou dix ans, ils annoncent à table : « Je serai écrivain. » Une voix, jadis, leur répondait : « Mange ta soupe au lieu de dire des bêtises ! » De nos jours : « Bois ton Coca au lieu de raconter des conneries ! » Nés Verso ascendant Pléiade, comment ne croiraient-ils pas à leur destin littéraire ?

Cependant, certains ne naissent pas écrivains. Ils le deviennent. Pour passer à la télé, pour décrocher le Goncourt et le respect de leurs fournisseurs, pour entrer dans le Who’s Who ou à l’Académie française. Pour séduire une femme inaccessible ou un homme distrait. Ces écrivains-là ne sont pas les meilleurs. Car l’ambition des vrais est simplement de s’épater eux-mêmes en traçant chaque jour un mot juste.

Les écrivains ont tous eu une enfance extraordinaire (> Jeunesse). Si elle a été banale, un peu de style la rendra prodigieuse. Le style ajoute du pathétique, des moustaches, de l’exotisme, des bonheurs-du-jour, de la métaphysique, des micocouliers ou des trains fantômes.

Les écrivains se drapent dans leur style. Ou le tendent comme un passeport. Ils espèrent voyager avec le plus longtemps possible, jusque dans ce pays improbable, à la démographie maigre et toujours fluctuante, où l’on mange bio et biblio : la postérité.

Les mots sont à tout le monde, mais ils appartiennent un peu plus aux écrivains. Ils les chopent quand ils passent devant, au-dessus ou derrière eux. Puis ils les rangent dans des ordinateurs ou directement sur des feuilles blanches, suivant un ordre mystérieux, parfois complexe, qui relève de la syntaxe, de la grammaire, de la météorologie, du moral des ménages, du confort du siège et de la chance.

Avec les mots les écrivains font des métaphores, des antonomases, des chiasmes, des euphémismes, des hypallages, des zeugmas et bien d’autres choses étranges qui échappent au vulgum pecus comme lui échappent les points d’une tapisserie. Il n’est pas de métier qui n’ait son vocabulaire technique. Comment les écrivains n’auraient-ils pas le leur, d’un genre particulier puisqu’ils emploient des mots pour désigner d’autres mots qu’ils emmanchent et goupillent suivant leur fantaisie ?

Les écrivains restent toute leur vie de grands enfants qui se disputent les meilleurs oxymores et les plus subtiles synecdoques.

À propos…

Tout compte fait, les écrivains les plus romanesques sont ceux qui ont un peu écrit, rien publié, et qui néanmoins tiennent pour certain d’appartenir à la confrérie. Quelques pages l’attestent, en effet. On peut les lire sur leur blog. Ou chez eux, si l’on est intime. Le talent est manifeste. Il y a quelque chose. Mais la suite ? Il n’y a pas de suite. Ils n’y arrivent pas. Enfin, pour le moment, parce qu’ils sont bien décidés, étant des écrivains et même de grands écrivains, à coucher sur le papier ce qui est encore retenu quelque part. Il ne s’agit pas d’apporter des preuves. Ni de justifier de soi-disant prétentions. Puisqu’ils sont des écrivains ! Il faut simplement attendre le moment où ça viendra. Forcément.

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