Football

J’aimais tellement le football que je restais volontairement au pensionnat le samedi après-midi et le dimanche, avec les élèves collés et ceux dont les parents habitaient loin, pour pouvoir y jouer plusieurs heures durant dans la cour de récréation.

Pourtant j’étais peu doué. Beaucoup d’énergie, déjà de la niaque, le sens du collectif, une application vertueuse à ne pas perdre le ballon, mais aussi limité dans la technique que fragile dans les duels physiques. Je n’étais pas assez costaud pour jouer à l’arrière, pas assez habile pour être devant. En ce temps-là, on mettait les moins bons au milieu. On ne disait pas encore « milieu de terrain », on disait « inter ». Je jouais inter droit. Comme, beaucoup plus tard, Michel Platini. Pardon, Michel !

Dans les années cinquante, le pensionnat Saint-Louis, à Lyon, sur les pentes de la Croix-Rousse, enregistrait des résultats calamiteux au baccalauréat et excellents dans les sports. Il était fréquent que les équipes scolaires, championnes régionales de foot, et les champions d’athlétisme, de cross-country et de tennis de table, sortent de ses rangs. D’où les frères du Sacré-Cœur tenaient-ils ce goût pour le sport ? Nous en faisions beaucoup. Nous étions encouragés à nous entraîner souvent, à solliciter notre corps, à en obtenir ce qu’il rechignait à nous donner.

Comment expliquer mon opiniâtreté — dix ans après avoir été pupille à Saint-Louis je jouais encore, dans l’équipe de la faculté de droit, ayant été entre-temps des juniors du lycée Ampère —, comment justifier ma passion à pratiquer un sport dans et sur lequel je me suis — réellement — cassé des dents ?

Le plaisir d’appartenir à une équipe. De jouer avec. Contre une autre. D’être de l’aventure, de la bataille. Les vestiaires avant et après. Minuscules, sans douche. Le fouillis des vêtements, l’odeur d’embrocation, le bruit des chaussures à crampons sur le ciment. Les protège-tibias comme les jambières des chevaliers. Le maillot tôt enlevé et jeté à terre après une défaite. Les hip ! hip ! hip ! hourra ! (prononcer : hipipipoura !) après la victoire. Banals, répétitifs, ces avant-matches d’ados tout neufs, tout fringants, tout joyeux, et ces après-rencontres d’essoufflés, de crottés, d’entaillés, d’excités. Mais comme c’était bon !

Je dois au football d’avoir forcé ma nature rêveuse à me fondre dans un groupe où j’avais mes meilleurs camarades, et à me battre pour m’y faire une place. C’est du sport que je tiens mon ardeur dans la compétition au travail, mon ambition de réussir dans les tâches qui, souvent avec imprudence, m’ont été confiées. Plus redoutable était l’adversaire ou plus risqué le défi, plus je m’appliquais à jouer juste, malin et vigoureux. Toute ma vie professionnelle j’ai été un individualiste ayant l’esprit d’équipe.

Les frères du Sacré-Cœur n’ont pas fait de moi un homme pieux ni cultivé. Mais, sans eux, sans le football dont ils furent des croyants, des pères cellériers, et même des missionnaires, je n’aurais jamais marqué autant de buts à la télévision.

À propos…

Dans le langage du football, l’expression, aujourd’hui complètement démodée, faire soutane vient des patronages. Les prêtres jouant autrefois en soutane, il était impossible de réussir contre eux un petit pont, c’est-à-dire faire passer le ballon entre leurs jambes. Faire soutane c’est donc enrayer, bloquer une tentative de petit pont.

J’ai regretté de ne pas avoir connu, du temps du football chez les frères du Sacré-Cœur, l’expression la messe est dite, employée quand une équipe ne peut plus renverser le cours de la partie.

> Dimanche, Jeudi

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